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lettre où l’on sent comme un pressentiment de sa mort prochaine, à propos du travail cité plus haut : « En mettant à part parmi mes papiers, me disait-il, l’oraison funèbre dont je vous ai déjà remercié, il m’est venu l’idée médiocrement modeste qu’il y faudrait quelque chose sur la psychologie et la méthode psychologique ; car si à cet égard je n’avais pas d’efforts d’imagination à faire après MM. Royer-Collard et Maine de Biran, on me doit un peu de reconnaissance pour avoir maintenu cette méthode comme le point de départ, la règle et la mesure de toutes les autres parties de la philosophie. C’est là ce qui a fait une école française distincte de toutes les autres écoles européennes… Si donc vous reproduisez jamais l’article de la Revue des Deux Mondes, ma vanité demande quelques lignes de plus, afin que mon ombre soit entièrement satisfaite, et qu’au séjour des mânes Socrate m’accueille sans trop de répugnance et me fasse une petite place parmi ses derniers écoliers. »,

On a contesté tout caractère scientifique à la philosophie de M. Cousin : rien n’est plus injuste qu’une telle accusation ; mais notre objet n’est pas ici de la combattre et de la discuter : contentons-nous de dire que M. Hamilton et M. de Schelling ont discuté sa doctrine, et c’est pour la portée de cette doctrine une garantie et un témoignage que je considère comme suffisans.

Toutefois, ne craignons pas de le dire, la philosophie de M. Cousin a surtout été une philosophie d’opinion et de lutte, mêlée au mouvement du siècle, tantôt l’entraînant, tantôt le suivant, tantôt le combattant. Et, pour dire la vérité, c’est surtout sous cette forme que M. Cousin a compris et aimé la philosophie ; en cela, il était bien de son pays et de son temps, car en France, depuis Voltaire, la philosophie a toujours été plus ou moins militante. Pour Voltaire lui-même, pour Rousseau, pour Diderot, de nos jours pour Lamennais et pour Joseph de Maistre, et dans un autre camp pour Saint-Simon et Proudhon, la philosophie a toujours été une cause, un drapeau : elle allait à l’assaut, ici du catholicisme, là de l’athéisme, tantôt de la démagogie, tantôt de la société et de la propriété. Tous les penseurs de ce temps ont été des soldats. Aujourd’hui même encore je ne vois guère autour de moi dans les plus brillans de nos jeunes novateurs que des chefs d’opinion. Quelques penseurs abstraits et austères se mêlent parmi eux ; mais on invoque leur nom beaucoup plus qu’on ne lit leurs livres et qu’on ne médite leurs démonstrations. Les doctrines refoulées autrefois par la parole éloquente de M. Cousin renaissent assez peu rajeunies, propagées par la passion plus que par la raison. Elles s’emparent à leur tour par tous les moyens d’une opinion blasée et énervée,