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pour observer le temps qui s’écoulait entre l’éclair et l’arrivée du son au rivage opposé. Il prit station sur une colline près du village d’Omkullu, sur la terre ferme, et y attendit le coup de canon du fort de Muçawa. Le son lui arriva dix-huit secondes après la perception de l’éclair : la distance était donc de 6,440 mètres. Une autre fois M. d’Abbadie mesura, par le même procédé, la distance de la ville d’Adoua au mont Saloda. Son frère Arnauld s’installa sur la montagne avec un fusil à mèche ; lui-même était sur le toit d’une maison de la ville, armé d’une espingole ; on tirait alternativement, et chacun notait les secondés à la montre. La distance fut trouvée égale à 3 kilomètres ; mais l’on avait fait apparemment trop de bruit, car les deux frères furent exilés du Tigré.

Les moyens qui peuvent servir à une évaluation approximative des distances sont d’ailleurs assez nombreux. Le plus simple est l’estime à vue d’œil : les détails des arbres qui croissent sur une montagne permettent de juger de leur éloignement. On peut s’exercer à estimer les distances avant de partir pour un voyage d’exploration ; chez soi, on peut aisément vérifier le jugement de l’œil. La portée d’un fusil, d’une fronde, d’un javelot, fournissent une autre unité de mesure. Enfin l’on évalue une petite distance avec une perche ou avec une lanière, et une grande au pas. Lorsqu’il n’est pas possible de compter les pas, on peut encore noter le temps que l’on a employé à parcourir un chemin donné. M. d’Abbadie a marqué pendant douze ans, jour par jour, l’heure et la minute où il passait par un point quelconque indiqué sur ses itinéraires ; on peut dire que, pour lui, les heures ne fuyaient pas. Les ruisseaux qu’il a traversés, les rochers qui bordaient la route, les bosquets à côté desquels il a passé, tous les accidens du chemin sont représentés par une date précise. Le taux moyen de la marche de M. d’Abbadie était de 4 kilomètres à l’heure ; mais il a eu soin d’indiquée chaque fois s’il marchait plus vite ou moins vite qu’à l’ordinaire. Cette indication scrupuleuse des heures de parcours a permis d’inscrire dans la carte, à leur place exacte, une foule de détails précieux qui viennent se grouper autour des points déterminés par des moyens plus rigoureux. M. d’Abbadie n’a même pas oublié de mesurer la largeur, le débit et la profondeur des rivières qu’il franchissait. La profondeur était obtenue par un moyen bien simple : on entrait dans l’eau ; si elle arrivait jusqu’à l’aisselle, le fond était à 1m,30.

Il faut espérer qu’une fois bien connue, la méthode de géodésie expéditive de M. d’Abbadie deviendra féconde entre les mains des voyageurs. Depuis son retour en Europe, c’est-à-dire depuis dix-huit ans, la géographie de l’Afrique s’est enrichie de plusieurs grandes découvertes relatives à l’orographie et à l’hydrographie de