Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/706

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la renverse, ils sont à découvert. De là chez les plus clairvoyans cette sollicitude pour tous les intérêts chrétiens sans distinction, et cette solidarité défensive qui semble vouloir naître entre ceux qui sur le fond des choses sont animés de convictions communes.

Par malheur ce bienfait tout moderne, une des rares conquêtes qui dans l’ordre moral pourraient honorer notre temps, n’est pas encore très répandu. Chez ceux-là mêmes que révolte la coalition anti-chrétienne, l’idée de s’entr’aider, de s’unir, de se coaliser aussi, d’ajourner les querelles intestines, de se prêter main-forte entre frères, ne fait, il faut le dire, que de faibles progrès. L’habitude, les préjugés, l’esprit de secte, sont de telles puissances ! Si quelques-uns s’en affranchissent, — si une certaine élite qui voit les choses de plus haut se plaît à pratiquer ces idées tolérantes, la foule les suit-elles ? et l’élite elle-même ne donne-t-elle jamais que des exemples généreux ? Si c’était seulement parmi les catholiques qu’on remarquât cette tendance à l’exclusion, cette aversion du schisme poussée jusqu’à l’oubli des premiers intérêts de la foi, bien des gens, s’en diraient peut-être moins surpris qu’affligés, non que le catholicisme sainement compris et pratiqué autorise un tel oubli du véritable esprit de charité ; mais pour le catholique, s’il va trop loin dans cette voie, on peut invoquer une excuse : il a pu croire qu’en s’isolant, en évitant le contact de l’erreur, il faisait acte d’obéissance et se rendait plus agréable à Dieu ! Tandis que pour le protestant quel prétexte invoquer ? Lui qui affirme si haut son droit de croire comme il lui plaît, peut-il s’effaroucher que son prochain en fasse autant ? L’intolérance qui chez l’un nous afflige sans beaucoup nous surprendre, chez l’autre nous révolte. Comprenez-vous un protestant instruit, lettré, sain d’esprit et de cœur, professant de généreux principes, poussant même jusqu’à l’énergie l’amour et le respect du droit, et qui, dès qu’on lui parle de concéder aux catholiques ce qu’il croit juste et vrai pour tout le genre humain, le droit d’exercer leur culte avec la liberté et dans les conditions que ce culte réclame, pousse un cri de haro, fait appel à la force brutale, admet sans sourciller qu’elle tranche ces questions et d’avance en sanctionne et légitime les arrêts, parfaitement sensé sur toute autre matière déraisonnable sur celle-là, et parlant au XIXe siècle de l’église romaine comme un inquisiteur du XVIe aurait parlé de l’hérésie ? Quel étrange spectacle et quelle leçon d’humilité ! Est-il plus accablante preuve de la misère de notre esprit ?

Le rôle est pourtant si beau pour le protestant de nos jours qui veut servir le christianisme et prendre corps à corps ses véritables ennemis ! tout conspire à lui donner créance, tout semble préparé pour ajouter à ses paroles comme un surcroît d’autorité. Ces jalousies, ces mesquines colères, il les ignore, il les oublie. Il veut faire