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sacré, pour qu’il ait action sur les âmes, un certain genre d’indépendance allant jusqu’à la fierté, et mettant en complète évidence son détachement des choses de la terre, son oubli des intérêts mondains.

Depuis 1830 jusqu’en 1851, quels que fussent au fond les motifs de son éloignement, de son indifférence, le clergé catholique avait acquis le bénéfice de cette situation. Il avait prospéré et grandi, il s’était concilié, au grand profit des croyances chrétiennes, l’estime, le respect, l’adhésion même d’esprits jusque-là rebelles et d’émigrans. Savait-il bien d’où lui venait cette insolite bienveillance ? Comprenait-il combien pour sa cause et pour lui elle était préférable aux anciennes faveurs de cour ? S’est-il depuis toujours tenu sévèrement en garde contre les tentations qui ont pu l’assaillir ? A-t-il persévéré partout à n’encenser que Dieu, à n’adorer que sa puissance ? Des enthousiasmes plus terrestres et d’apparence moins désintéressée ne lui ont-ils pas déjà fait perdre une partie du terrain conquis ? Ce sont là des questions qu’il est peut-être bon de ne pas approfondir ; mais on en sait assez pour comprendre que depuis les quinze dernières années le vice radical du concordat, l’esprit dans lequel il a été conçu, cette prétention d’établir entre le christianisme et le pouvoir absolu une alliance soi-disant naturelle, une sorte de complicité nécessaire, ait soulevé chez certains cœurs chrétiens des objections, des craintes et des antipathies plus vives que jamais.

Nous voici en présence d’un des grands incidens de ce réveil chrétien dont M. Guizot nous retrace l’histoire. Que le premier consul ait relevé les autels, moitié pour obéir aux grandes vues de son génie, moitié pour satisfaire à ses instincts de despotisme ; que M. de Chateaubriand ait ému et charmé la société française en lui révélant les trésors d’une poésie chrétienne qu’elle ignorait ; que M. de Bonald ait fait aux traditions gouvernementales de l’ancien régime l’honneur de les traduire en théories métaphysiques ; que M. de Maistre enfin ait versé dans des flots de fougueuse éloquence des invectives accablantes contre l’esprit de révolution, il n’y a dans tout cela qu’un hommage à de nobles ruines, un cri d’indignation contre les destructeurs, une généreuse tentative de réhabiliter le passé, de le glorifier, de lui rendre la vie ; mais les graves questions, les questions de l’avenir ne sont pas encore posées. Ce n’est pas tout d’avoir restauré le christianisme, il faut le faire vivre, le faire vivre en bonne intelligence avec une puissance désormais hors de pair, une force irrésistible, la civilisation moderne. Comment faire accepter par l’église chrétienne, et en particulier par l’église catholique, les libertés de la société civile telle que l’a