s’exagérait la force et qui était en réalité délabré. Le colonel Favre rapporte ce propos d’un officier autrichien : — Je ne sais comment cela se fait ; mais soit en 1848, soit en 1859, aussitôt qu’une guerre éclate, au lieu de se garnir de vieux Soldats, nos rangs se remplissent de recrues, tellement que dans la dernière guerre on était obligé de leur apprendre la charge dans les wagons. — Cela vient, pourrait-on répondre, de ce que les états qui n’ont pas de bonnes finances et qui craignent les véritables landwehrs soulagent leurs trésors en multipliant les congés dans leurs armées permanentes, et n’ont des effectifs nombreux que sur le papier. On assure qu’avant Sadowa les distributions de vivres ont manqué aux troupes autrichiennes, et on sait quelles fautes de tactique ont été commises. Pour la Prusse au contraire, la guerre était une conspiration longuement préparée. Chefs et soldats connaissaient le but et y tendaient franchement : l’idéal allemand était leur étoile. L’armement était supérieur ; le comfort ne manquait pas aux troupes. Voilà bien des élémens de succès, sans qu’il soit nécessaire d’exagérer le rôle de la landwehr et la vertu des fusils à aiguille. En somme, ajoute-t-on, les documens abondent aujourd’hui sur la campagne austro-prussienne, elle est connue jusque dans ses menus détails : eh bien ! les divers corps de l’armée active, forts de 394,000 hommes, ne comprenaient que 28,800 hommes de landwehr. Les troupes de cette catégorie étaient nombreuses dans les dépôts et les garnisons, mais celles-ci n’ont pas eu l’occasion de faire leurs preuves. Les fameux fusils à aiguille, qui pourraient user douze cartouches par minute, n’ont tiré en moyenne que sept coups pendant toute la campagne, et enfin, le sang a moins coulé de part et d’autre à Sadowa que devant Sébastopol, à Magenta ou à Solferino.
Ainsi parlent aujourd’hui ceux qui essaient de réagir contre l’impression qu’a laissée le triomphe des Prussiens. Je partage leur avis, s’ils veulent dire qu’à un jour donné, dans un de ces grands duels militaires dont l’histoire prend note, le succès ne serait pas indubitablement pour l’armée prussienne, et que, si la cour de Berlin se laissait aller à l’enivrement des conquêtes et se lançait dans des guerres agressives, elle pourrait bien être rappelée à la modération ; mais on jugerait fort mal la situation, si on se plaçait pour l’apprécier au point de vue exclusif de la stratégie. Les faits de guerre aujourd’hui sont dominés, et de très haut, par des considérations sociales. Ne nous y trompons pas ; notre temps, si fécond en phénomènes inattendus, verra une des plus grandes évolutions de la politique. Les armées permanentes, dans le sens historique de ce mot, s’en vont, et la tendance est d’y substituer des armées nationales, ou, pour mieux dire, l’armement civique des peuples.