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affranchis par leurs infirmités ou par les exemptions légales jusqu’à ce qu’on ait réuni le nombre voulu des individus aptes au service. Pour obtenir en 1864 cent mille jeunes soldats, chiffre actuel du contingent, on a visité ainsi 204,870 conscrits. Sur ce nombre, on a dû écarter 35,747 individus pour raison de famille, et 69,080 pour raison de santé. Si on avait poursuivi la visite jusqu’à l’épuisement de la liste, l’on aurait trouvé plus de 109,000 jeunes hommes sur 325,000 entre lesquels se seraient distribuées les plus affligeantes maladies dans les proportions énumérées plus haut. Il est admis en effet que les opérations du recrutement, appliquées aux deux tiers de la nation, fourniraient des résultats et des indices qui se vérifieraient pour la nation entière. Cela est d’autant plus certain que les mêmes proportions de valides et d’infirmes, les mêmes classemens de maladies se reproduisent depuis trente ans sans autres variantes que les petites améliorations que l’autorité se plaît à constater, et qui tiennent peut-être à ce que l’on s’est montré moins difficile pour les admissions à mesure qu’on a élevé le chiffre des contingens.

Arrêtons un instant nos yeux sur ce coin du tableau. En 1843 sont venus au monde 530,000 enfans mâles, dont 16,000 sont morts en naissant. Vingt ans plus tard, les survivans appelés au service militaire n’étaient plus représentés que par 325,000, et parmi ces derniers deux tiers seulement sont sains et valides ! L’autre tiers est amoindri par des défectuosités physiques plus ou moins débilitantes, plus ou moins immondes. Certes un tel état de choses ne répond pas au vœu de la nature. Si le bruit se répandait qu’il y a dans nos campagnes un tiers de bêtes écloppées ou malades, on crierait à l’épizootie, et le gouvernement s’empresserait d’envoyer des vétérinaires dans les étables. Si on constatait dans nos récoltes une gerbe sur trois de qualité inférieure, nos comices agricoles conseilleraient aux fermiers de trier les plus belles graines pour les prochaines semences. On fait précisément le contraire en présence de la dégénérescence des races humaines. Quand on a fait chez nous le triage des infirmes et des valides, on prend 100,000 de ceux-ci et on leur interdit le mariage pendant sept ans, et ils rentrent trop souvent dans la société après sept ans avec des goûts et un tempérament qui les rendent peu propres à la vie de famille. Ceux dont là mauvaise constitution a été constatée sont laissés dans la société, et ils font nombre pour plus de moitié parmi les citoyens pour qui le droit de se marier devient une sorte de privilège. Est-il étonnant que la catégorie maladive reproduise une population à son image, et que l’impotence de la race soit ainsi perpétuée ?