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qui l’en a empêché, c’est tout simplement la concurrence. Depuis 1860, date mémorable à laquelle la France a fait un pas décisif dans la carrière de la liberté commerciale, on remarque une hausse plus sensible dans le taux des salaires. Dira-t-on que cela est dû à une réforme politique qui aurait facilité plus que par le passé « la libre convention » entre le capital et la main-d’œuvre ? Non assurément. Il est arrivé que la France a redoublé d’efforts pour combattre au dedans et au dehors la concurrence internationale, qu’elle a multiplié ses moyens de production, qu’elle a plus et mieux travaillé, et qu’en fin de compte tout ce qui travaille, capital ou main d’œuvre, y a notablement gagné.

Il serait facile de multiplier les exemples à l’appui de ces argumens : nous voulons seulement établir que la hausse du salaire, c’est-à-dire l’amélioration la plus désirable pour les populations ouvrières, dépend de la situation économique plutôt que de la législation politique. Quelle est la conséquence de ce fait ? C’est que, pour l’examen utile de la question du travail, nous devons nous attacher par-dessus tout aux mesures qui ont une action directe sur la production et sur les transactions, et que les réformes d’un autre ordre, essentielles assurément et très souhaitables, n’exerceraient point une influence aussi décisive sur le sort de la main-d’œuvre. Vivre est la première chose. La liberté naît ensuite de la vie. De même appliquons-nous d’abord à développer dans tous les sens le mouvement industriel et commercial, à perfectionner nos instrumens de travail, à répandre de saines notions sur la concurrence et sur les rapports que la force des choses établit entre la main-d’œuvre et le capital. L’accroissement du bien-être précipitera le progrès moral, et la liberté sera.

Voilà pourquoi le rôle de l’économie politique est devenu aujourd’hui si considérable. Science longtemps rebutée, enfouie dans les livres, impopulaire, elle se voit maintenant recherchée, mise en pleine lumière, accueillie au forum, écoutée par les gouvernemens et par les peuples. En France, en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis, partout, sous les régimes politiques les plus divers, les hommes d’état et les orateurs s’inspirent de ses conseils, approfondissent ses lois et lui empruntent le plus pur éclat de leur renommée. Les philosophes et les moralistes ne craignent plus de s’abaisser jusqu’à elle, et nous voyons l’un des plus éloquens, M. Jules Simon, lui apporter toute sa pensée et toute son âme. Avec un tel concours de serviteurs, il n’y a pas à craindre que son œuvre demeure stérile ; œuvre immense, si l’on en juge par cette seule question : le travail !


C. LAVOLLEE.