Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/647

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saurait y avoir de contestation à cet égard, et c’est pour assurer le libre débat que l’on demande les réformes politiques destinées à faire disparaître l’état d’inégalité et de dépendance dans lequel se trouveraient encore aujourd’hui les ouvriers ; mais supposons que ces réformes soient accomplies, croit-on que les associés, mis en présence, avec un intérêt commun quant à la prospérité du travail et avec un intérêt contradictoire quant au partage des produits, parviendront aisément à s’entendre ? Pense-t-on même qu’ils s’entendraient jamais dans une discussion aussi délicate, si, par-dessus ces libertés dont ils voudraient l’un et l’autre user jusqu’à l’extrême limite, il n’existait une règle qui les domine tous deux, qui seule est capable de contenir leurs prétentions même légitimes et de faire à chacun d’eux cette part, cette part vitale que le juge le plus intègre et le plus habile tremblerait d’avoir à fixer ?

Cette règle, c’est la concurrence. Elle s’impose au capital comme à la main-d’œuvre, à l’ouvrier comme au patron, favorable ou contraire tantôt à l’un, tantôt à l’autre, mais toujours donnant la mesure exacte de ce que vaut, dans la production, le concours de chaque associé. Vainement l’ouvrier, armé de toutes les libertés et joignant à cela l’énergie de la volonté et la force du nombre, tenterait-il d’obtenir une part plus grande que celle qui lui est assignée par la concurrence. Vainement aussi le patron chercherait-il à accroître sa part au détriment de la main-d’œuvre. Dans le premier cas, le capital se retirerait, et le salaire avec lui ; dans le second, la main-d’œuvre apparaîtrait, plus lentement peut-être, et le capital arriverait à n’avoir plus d’emploi ni de bénéfices. Il y a eu certainement des exceptions et des abus de part et d’autre, reconnaissons même que dans la lutte, quand malheureusement elle s’engage, le capital possède des ressources que son adversaire ne possède pas ; mais, par la force même des choses, il ne peut ni ne veut se tromper longtemps, lorsqu’il se trompe, parce que ce serait sa ruine. La concurrence dans les pays où règne la liberté de l’industrie et du commerce est toujours là pour mettre l’ordre dans l’armée du travail.

Depuis 1791 jusqu’en 1864, la coalition a été punie comme un délit ! Des lois sévères ont entravé et entravent encore les associations, les réunions, la liberté de la presse. Est-ce que, malgré l’absence ou l’éclipse des franchises politiques, la rémunération de la main-d’œuvre n’a pas toujours été en augmentant, plus vite peut-être que le bénéfice du capital ? S’il avait été possible au capital de se réserver pour lui tout seul les avantages du progrès économique, il l’aurait fait à coup sûr, et il se serait bien gardé d’admettre qui que ce fût au partage. Ce n’est ni sa générosité ni son bon cœur