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Or il suffit que l’inégalité se rencontre, de quelque nature qu’elle soit, pour que la conscience humaine, livrée à elle-même, s’inquiète, s’émeuve et tente de la combattre. Si donc le patronage n’a plus sa raison d’être comme institution, le droit et le devoir qui commandent aux hommes de s’aider les uns les autres demeurent dans toute leur plénitude. Pour qualifier cet acte essentiellement humain, la religion conserve le mot de charité ; le langage administratif a adopté le terme d’assistance ; la révolution, empruntant son vocabulaire à l’idée même qui nous reconnaît tous enfans de la même famille, s’est servie du mot de fraternité. Quel que soit le terme, la pensée est bien celle de la solidarité universelle, qui unit non plus les classes aux classes, mais les individus aux individus, et dont la consécration est le signe le plus pur et le plus fécond du progrès politique, économique et social qui s’accomplit de notre temps.

Cette solidarité a pour conséquence d’enlever à celui qui assiste l’auréole de la supériorité et à celui qui est assisté le stigmate de la sujétion. Le patronage n’a plus rien de politique, il est simplement humain. Et de fait que voyons-nous ? Plus nous allons, plus la société s’organise de telle sorte que les plus grands en apparence ont besoin des plus petits et réciproquement. L’assisté d’hier devient l’assistant d’aujourd’hui. Le fils de celui qui était né pauvre est le bienfaiteur des enfans du patricien. Que l’on nous montre un individu, si haut qu’il soit, qui n’ait pas eu besoin, à un moment donné, du patronage d’autrui ? On parle donc contre le sentiment humain en repoussant systématiquement l’assistance ; on méconnaît la loi de la solidarité quand on dit à ceux qui sont faibles et pauvres qu’ils ont le triste privilège de la dépendance dans une société où il est évident au contraire que tous nous dépendons les uns des autres. « Quoi ! s’écrie M. Jules Simon, ne doit-on rien à ceux qui souffrent ? Distinguons ; on doit tout à ceux qui ne peuvent rien pour eux-mêmes. On ne doit rien aux autres que le soleil et le champ de bataille, la justice et la liberté ! » Quelle est la conclusion logique de ce beau et mâle langage ? Si la justice et la liberté ne suffisent pas toujours (et cela peut se concevoir) pour assurer la subsistance à tous ceux qui peuvent et veulent travailler, et si en même temps on repousse comme injurieuse et dégradante la main que tend l’assistance, que reste-t-il ? — Le droit au travail.

L’économie politique est passionnée, elle aussi, pour la liberté et pour la justice ; elle demande que le soleil éclaire pour tous non pas le champ de bataille, mais le concours pacifique des forces actives et productives de la société. Pourtant la rigidité de ses principes ne l’empêche pas de tenir compte des infirmités sociales, ni