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d’un état meilleur. L’histoire du passé est rassurante pour les destinées du travail, alors surtout que tant d’intelligences éclairées s’emploient et se dévouent à les servir. M. Jules Simon, après avoir, dans un exposé qui a provoqué de notre part quelques réserves, indiqué les griefs passés et présens du travail manuel, ne s’est point livré à la simple critique de la législation ; il a proposé la réponse que la société doit à ces griefs, les remèdes qu’il convient, suivant lui, d’apporter aux souffrances populaires. C’est là le point le plus important de la discussion que soulève la grande question du travail.


II

On a quelquefois reproché aux économistes de considérer le monde comme un marché, la nation comme une assemblée d’actionnaires, l’homme comme un outil de production, et de méconnaître, par la rigueur mathématique de leurs préceptes, ce qu’il y a d’inégalités naturelles et de distinctions inévitables dans toute société. Ce reproche, s’il était vraiment fondé, serait des plus graves ; il porterait le coup mortel à une science qui, prétendant régler les conditions matérielles de la vie des hommes, ne tiendrait aucun compte d’élémens essentiellement humains. Peut-être des économistes trop uniquement occupés des lois de la production ont-ils négligé de jeter les regards par-delà les limites qu’ils s’étaient assignées, laissant aux moralistes et aux hommes d’état le soin de concilier les stricts enseignemens de la science avec les exceptions sociales et avec les nécessités de gouvernement. Il ne faut voir dans cette abstention qu’une marque de respect pour les attributions des autres sciences. En réalité, l’économie politique est avant tout une science pratique et humaine ; rien de ce qui est humain ne doit lui être étranger. Mieux que personne, M. Jules Simon, qui a exploré les régions de la philosophie et de la morale avant de consacrer son talent aux études économiques, est en mesure d’éclairer ces études à la lumière qui vient d’en haut, de les attendrir en quelque sorte par l’onction pénétrante du sentiment. Aussi est-ce là en général le caractère particulier de l’économie politique qu’il professe. Dans ses démonstrations, qui sont toujours éloquentes, on sent l’âme qui s’émeut et le cœur qui bat. Comment se fait-il cependant que parmi les institutions, les coutumes et les lois que M. Jules Simon représente comme étant contraires aux intérêts du travail et dont il souhaite la suppression ou la réforme, on voie figurer presque en première ligne le patronage ? L’histoire de la grandeur