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chose au fond et dans la forme que le retour, à la récente corporation, c’est-à-dire à la tyrannie de l’ancien régime. À cette même époque, la coalition, si elle n’eût pas été vigoureusement réprimée, aurait tué dans son germe la liberté du travail. Voilà ce que ne voulait pas l’assemblée nationale, à laquelle il est étrange que l’on prétende, après tout ce qu’elle a fait et préparé, donner des leçons de libéralisme. Certes il est permis de soutenir que le législateur a tardé trop longtemps à rayer de nos codes le délit de coalition, qu’il aurait pu ne point demeurer jusqu’en 1864 sous la terreur du régime corporatif, qu’il aurait dû laisser plus tôt le champ libre au débat qui s’établit sur le marché du travail entre le patron et l’ouvrier : c’est une opinion que justifie le progrès naturel des idées en matière d’association, et qui s’appuie, sinon sur l’expérience du moins sur la confiance plus grande que doit inspirer l’intelligence nationale développée par soixante-dix ans de liberté industrielle ; mais prétendre que l’assemblée nationale a garrotté le travail en juin 1791, trois mois après l’avoir émancipé, que la loi contre les coalitions a été faite en vue de ressusciter et de perpétuer l’ancien servage, c’est à notre sens méconnaître les textes les plus clairs de l’histoire, commettre une grave injustice envers les généreux auteurs de toutes nos libertés et répandre parmi les ouvriers de notre génération des notions fausses et périlleuses au lieu des lumières que nous devons rechercher pour eux. Quand on juge à distance les actes d’un gouvernement ou d’une assemblée politique, on doit premièrement tenir compte des motifs et des circonstances qui ont amené ces actes. Or il est évident que les mesures édictées en 1791 et insérées dans le code pénal à l’égard des coalitions n’avaient point en vue d’opprimer les ouvriers. On a bien fait de les prescrire parce qu’alors elles protégeaient l’ordre et le travail, comme aujourd’hui on fait sagement de les abolir parce qu’elles ne sont plus nécessaires et parce que, après avoir été longtemps utiles, elles deviendraient nuisibles. En pareille matière, c’est la date qui justifie ou condamne les actes et les lois.

M. Jules Simon poursuit jusqu’à nos jours l’histoire du travail manuel. Il reconnaît que l’irrévocable suppression du régime des castes a consacré l’égalité pour les populations ouvrières ; il accorde que depuis la proclamation du suffrage universel il n’y a plus de privilège politique, et que chacun est citoyen au même titre. Et cependant il conclut que pour les ouvriers l’égalité n’existe guère que de nom, qu’elle ne représente qu’un droit abstrait dont ils ne peuvent faire usage ; il nous montre les ouvriers frappés d’incapacités sociales qui contrastent avec leur récente capacité politique et qui résultent non-seulement de leur manque d’instruction, mais