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moins un acte essentiellement religieux. Telle était, et personne ne le savait mieux que Napoléon, la manière dont le pieux pontife comprenait, dans la solennité qui s’apprêtait, son rôle auguste et celui du souverain sur la tête duquel il allait, suivant les rites usités, verser l’huile sainte et appeler les bénédictions du Très-Haut, Cependant cet étrange catéchumène, que déjà tant de voix acclamaient à l’avance comme l’oint préféré du Seigneur, n’avait jamais été religieusement marié avec Joséphine. Tout le monde l’ignorait. L’empressement qu’en Italie, lorsqu’il n’était encore que le brillant chef d’une armée révolutionnaire, il avait mis à se rapprocher des prêtres, à faire baptiser à l’église les enfans des membres de sa famille et ceux de ses plus intimes généraux, la manière dont il avait encouragé et presque contraint son beau-frère Murat et tant d’autres à faire consacrer par l’église leur alliance civile, ses conversations, toute son attitude, celle surtout de l’impératrice, qui fréquentait assidûment les églises, avaient fait supposer au pape et à tout le monde qu’un mariage tenu secret les avait unis devant l’autel. Il n’en était rien. La politique, s’il faut appeler de ce nom des vues toutes personnelles, avait fait trouver simple et licite à l’empereur de dissimuler entièrement à Pie VII une circonstance qui non-seulement compromettait si fort la dignité du saint-père, mais en ce qui le concernait lui-même, — laissant de côté les scrupules religieux propres aux seuls croyans, — touchait de si près, il nous semble, à la conscience de l’honnête homme. Bonaparte n’avait pas encore résolu de se séparer de Joséphine. Tous les efforts de ses frères l’y poussaient<ref> Les moyens qu’employaient les frères de Napoléon pour le décider à se séparer de Joséphine étaient parfois étranges, et donnent une singulière idée des rapports des membres de cette famille et de ce qu’ils se pouvaient dire entre eux dans l’intimité. Voici les paroles que Joseph raconte lui-même avoir adressées à son frère, quand ils agitaient ensemble cette question du divorce. « Tu balances ! ai-je dit au premier consul. Eh bien! qu’en arrivera-t-il? Qu’un événement naturel amène la mort de cette femme, tu seras pour la France, pour l’Europe, pour moi qui te connais bien, tu seras son empoisonneur... n (Mémoires du comte Miot de Melito, t. II, p. 123.) </<ref>. Il résistait encore à ce moment par un reste de tendresse pour la compagne qu’il avait aimée, et de l’affection de laquelle, malgré de récens nuages, il se tenait avec raison pour assuré; mais sa pensée devançait déjà les temps où bientôt il allait céder aux inspirations d’une mauvaise et décevante ambition. Il trouvait en tout cas plus sûr de ne point donner publiquement des armes contre ses résolutions ultérieures à celle dont il lui faudrait peut-être se séparer plus tard. Telles étaient les raisons de son silence vis-à-vis du saint-père. Joséphine, cruellement poursuivie par ses beaux-frères, avait tout intérêt à le rompre. La veille