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pas besoin d’être violente pour réaliser dans la loi civile et politique ce que l’idée chrétienne, développée plus hardiment et avec plus d’impatience par les prédications philosophiques, avait introduit dans les sentimens et dans les mœurs.

Il n’est pas indifférent de contrôler les appréciations historiques qui tendraient à faire croire aux ouvriers d’aujourd’hui que les ouvriers d’autrefois étaient assujettis à un système particulier de servitude. La nation presque tout entière se voyait soumise au même régime de réglementation. La société qui a précédé la révolution reposait sur ce principe, qui s’appliquait aux maîtres ou patrons comme aux ouvriers. Il n’est pas moins utile d’étudier quels furent les actes et les conséquences de la révolution relativement aux conditions du travail manuel. — Turgot avait tenté d’abolir les corporations ; mais il avait échoué devant l’opposition du parlement et devant l’opposition tout aussi vive de ceux-là mêmes qu’il voulait émanciper, des ouvriers et des patrons. Plus heureuse et plus puissante que ne l’avait été Turgot, l’assemblée nationale supprima, en février et mars 1791, les corporations, les maîtrises et les jurandes ; mais, selon M. Jules Simon, les bienfaits de cette grande mesure furent de peu de durée. Dès le mois de juin 1791, l’assemblée nationale, confondant les coalitions d’ouvriers avec les corporations, prohiba les premières par des dispositions rigoureuses qui furent plus tard consacrées par les articles 414, 415 et 416 du code pénal, articles qui n’ont été abolis, et encore timidement et d’une façon incomplète, que par la loi récente de 1864. M. Jules Simon ajoute que depuis la révolution la loi a successivement rétabli ou créé des taxes, des privilèges, des monopoles qui vont à l’encontre de la liberté des professions et des métiers, c’est-à-dire de la liberté du travail. Il semblerait donc que la liberté du travail n’a régné que trois mois (de mars à juin 1791), et que nous aurions à regagner aujourd’hui tout le terrain perdu depuis cette époque.

Présentée de cette façon, l’histoire n’est point complètement d’accord avec les faits. Si l’on se reporte aux débats de l’assemblée nationale de 1791, on voit d’abord que la suppression des maîtrises et des jurandes se rattachait à une question de budget. Les taxes nouvelles d’enregistrement et de timbre ne suffisant pas pour équilibrer les recettes et les dépenses, le comité des contributions eut la pensée d’établir un droit sur les vendeurs, et, suivant les expressions de son rapporteur, le député Dallarde, il crut « qu’il fallait lier l’existence de cet impôt à un grand bienfait pour l’industrie et le commerce, à la suppression des maîtrises et des jurandes qu’il convenait d’anéantir, par cela seul qu’elles constituaient des privilèges exclusifs. » Ainsi fut créé l’impôt des patentes en même temps