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bras qui exécute, et elle ne s’aventurait pas à franchir les limites de la production matérielle. Il était réservé à la philosophie de restituer au mot travail son sens général et vrai, c’est-à-dire de montrer que, dans le monde où nous vivons, le travail est la loi première à laquelle tout homme est assujetti et qui donne le mouvement et la vie à la société tout entière. Le travail apparaît, non plus seulement dans les opérations industrielles qui exigent l’emploi successif ou simultané de l’intelligence et des bras, mais aussi dans tous les détails de la vie sociale. Que les habitudes du langage conservent à une catégorie particulière de travailleurs la qualification d’ouvriers, il n’en demeure pas moins établi que la loi s’impose à tous, que pour tous le devoir existe, que riches et pauvres y sont pareillement soumis. Grâce à la philosophie, cette notion, s’est propagée au point de devenir presque un lieu commun moral ; il importe maintenant qu’elle soit acceptée et reconnue comme un lieu commun économique. C’est pour ce motif que M. Jules Simon a recherché une définition plus générale du travail, en y joignant l’éloquente démonstration des rapports intimes qui existent sur ce point entre la vérité philosophique et la vérité économique, et en plaçant cette dernière dans les régions supérieures de la morale et du droit.

Le travail, dirons-nous en abrégeant la définition proposée par M. Jules Simon, le travail, c’est l’effort. Il n’y a point à distinguer entre l’effort physique et l’effort moral, non plus qu’entre l’effort utile, qui produit un résultat, et l’effort stérile, qui échoue. L’âme de même que le corps a ses fatigues et ses défaillances, et souvent la stérilité du premier effort peut être fécondée par un effort subséquent et laisser dans l’air d’invisibles semences. Qui que vous soyez qui prenez de la peine, opulent ou pauvre, vous travaillez. Depuis le paysan courbé sur le sillon jusqu’au poète qui rêve immobile, chacun travaille. Les oisifs, où sont-ils ? S’il en reste quelques-uns dans notre société régénérée qui a supprimé les castes et le privilèges, ce ne sont plus que des oisifs honteux qui se dissimulent dans les dernières ombres du passé. Traqués par les lois civiles, appauvris par l’impôt, ils sont condamnés à disparaître sous l’action d’un régime économique qui ne permet plus de consommer à celui qui ne sait point produire. Naguère encore, au-dessus des foules régnait une caste assez nombreuse dont les rejetons, n’ayant que la peine de naître, trouvaient dans leur berceau la richesse héréditaire, les dignités, le commandement. À cette puissance collective, qui elle-même ne se maintenait que par la supériorité intellectuelle et par les vertus militaires de ce qu’on pourrait appeler l’aristocratie de la noblesse, a succédé la puissance individuelle, qui n’appartient plus qu’à celui qui agit