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mètres de la lune et à 120 mètres du soleil. Il n’y a pas de feuille de papier assez grande pour ces énormes dimensions. Si l’on commence au contraire par le soleil, et qu’on lui accorde un diamètre raisonnable, 1 centimètre je suppose, la distance de la terre au soleil dépassera encore les limites du papier, et cependant la lune sera réduite à un point imperceptible. De quelque façon que l’on s’y prenne, on ne peut figurer ces trois corps l’un près de l’autre avec leurs justes proportions.

En chacune des branches d’études qui sont susceptibles d’une traduction graphique, on se heurte à des impossibilités analogues. Veut-on, dans un livre d’histoire naturelle, représenter des animaux de tailles diverses, un insecte et un mammifère : si l’un est de bonne grandeur, l’autre sera trop petit ou trop grand. S’agit-il d’une figure anatomique, les organes du corps humain seront dessinés sur un même plan, sans égard à leurs positions relatives. Il n’est personne qui ne sache comment on surmonte ces difficultés : on fait varier l’échelle du dessin. Tel objet très volumineux est représenté au millième de sa grandeur réelle, celui-ci est représenté avec ses proportions véritables, cet autre est amplifié. L’insecte est dessiné plus grand que nature, le bœuf est dessiné plus petit. Puis on figure les objets sous plusieurs aspects, en coupe et en élévation, ou bien en perspective. L’art du dessin présente bien des ressources; mais si rien ne vient expliquer l’effet produit sur l’œil, l’esprit reçoit une impression erronée. Le sentiment des rapports de grandeur et de relation se fausse; l’enseignement est mauvais[1].

Dans l’enseignement sérieux, on remédie à cet inconvénient en supprimant autant qu’il est possible les images de convention. Au lieu de figures déformées, qui sont les seules que dans bien des cas le papier puisse recevoir, c’est dans l’esprit de l’élève que, par une description bien faite, le professeur s’attache à faire naître l’image. Lorsque l’objet qu’il s’agit de décrire a été bien exposé, si l’élève en a saisi la démonstration, il n’a qu’à fermer les yeux et se recueillir. Par une intuition merveilleuse, il verra en lui-même l’image exacte de ce qu’on lui a décrit. Les proportions, les couleurs, la vie, le mouvement, tout y sera. Il sera maître alors du sujet qu’il étudie et dédaignera les illustrations fallacieuses où d’autres s’imaginent trouver la réalité; mais on n’arrive pas à ce résultat sans travail ni sans fatigue. Ceci m’amène à parler du second point de vue sous lequel les ouvrages illustrés peuvent être envisagés et du motif principal qui doit les faire écarter de l’enseignement.

Dans toute science expérimentale, il y a deux choses à considérer : les

  1. Ces objections à l’enseignement par les images ne s’appliquent pas toutefois aux procédés fournis par la géométrie descriptive, science exacte qui apprend à tracer des figures de dimensions réelles; mais les figures de la géométrie descriptive ne sont comprises qu’à la suite d’une contention d’esprit que les vulgarisateurs veulent éviter. En fait, on n’en rencontre jamais dans les livres illustrés.