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çon toute spéciale ; on pourrait au contraire être surpris de voir ce culte établi sur le sol volcanique de Milo, au milieu de noirs rochers de trachyte et d’amas de meulière que traversent à chaque pas des vapeurs brûlantes et des émanations fétides. Peut-être cependant ces dégagemens gazeux fournissent-ils précisément l’explication de la présence de temples de Vénus. Les eaux et les vapeurs sulfureuses sont, comme on sait, un des agens thérapeutiques les plus énergiques contre les maladies de la peau, si fatales à la beauté physique. Qu’y aurait-il d’étonnant à voir les Grecs attribuer à la puissance de Vénus les guérisons dues à ces eaux, mettre les sources qui les fournissent sous l’invocation de la déesse et lui élever des autels aux abords ? Ceci n’est pas une simple hypothèse. En Sicile, partout où l’on rencontre des eaux thermales chargées d’hydrogène sulfuré, on est presque certain de trouver en même temps une chapelle consacrée à une sainte nommée suivant les localités Venerea, Venera ou Venerina. L’étymologie de ces noms est évidente, et les ex-voto suspendus le long des murs de ces chapelles ne diffèrent en rien de ceux qui ont été trouvés dans le temple de la Vénus de Milo. Ce sont là sans doute d’anciens temples païens transformés par le christianisme. Souvenons-nous du reste que dans l’antiquité le soufre était dédié à Vénus tout aussi bien que le cuivre, le myrte, la rose ou la colombe, et ne nous étonnons plus que les habitans de Milo, guéris par les sources sulfureuses, enrichis par l’exploitation des soufrières, aient professé pour la déesse une vénération particulière. Nous voici bien loin des questions géologiques ; mais j’espère qu’on excusera cette digression en faveur de ces relations inattendues entre le culte de Vénus et les phénomènes volcaniques et en se rappelant l’étrange hymen de Vénus et de Vulcain,

Géologiquement, la partie occidentale de Milo n’offre aujourd’hui aucun des signes de vitalité volcanique que l’on observe si fréquemment dans la zone de l’est. Près de l’entrée du port seulement, on trouve encore de ce côté dans la mer, à quelques mètres du rivage, un dégagement d’acide carbonique assez abondant. Les bulles se suivent rapidement, et l’eau bouillonne comme si elle était réellement portée à la température de l’ébullition. Cependant, les feux souterrains y ont autrefois fait sentir leur action avec une grande énergie. Des montagnes de lave en fusion y ont été vomies, l’eau bouillante chargée de silice y a produit d’énormes dépôts de meulières qui s’élèvent maintenant sous la forme d’éminences escarpées ; des émanations sulfureuses y ont transformé les calcaires en pierres à plâtre et donné naissance à des amas de gypse assez importans pour que le gouvernement grec se soit réservé le monopole des carrières où on les rencontre ; enfin les roches sédimentaires qui constituaient le sol avant cette époque ont été rompues, redressées, renversées, donnant issue à l’expansion des forces volcaniques. Quelques lambeaux de ces assises d’origine aqueuse ont été soulevés à, des hauteurs de cinq ou six cents mètres ; des polypiers et des mollusques nés au fond des mers se sont ainsi trouvés portés presque dans la région des nuages.