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d’une nature plus inédite et d’une recherche plus originale. Il y avait pour les hommes un concours de laideur et un concours de beauté, dont le prix était décerné par un aréopage féminin ; les candidats s’étaient volontairement recrutés dans la garnison. La dernière épreuve fut la plus curieuse. Un pain rassis d’un poids déterminé était placé sur une table en regard de deux pintes d’eau. Deux concurrens se présentèrent, dont l’un devait manger le pain, tandis que l’autre boirait l’eau avec une cuillère à café ; le prix était réservé au plus expéditif. Le public riait aux larmes, et ne songeait assurément pas alors à son exil.

Fit-il pas mieux que de se plaindre ?


Le Caire, 30 juin.

Après avoir parcouru la longue route que nous venons de suivre, et qui se déroule presque d’un bout à l’autre à l’ombre du pavillon britannique, on aime à se sentir à Suez sur une terre que notre pays a marquée de son empreinte dans le passé comme dans le présent. Cette empreinte, on la trouve avant même d’avoir quitté le bord. Ce sont des Français qui ont doté cette rade du vaste bassin de radoub que l’on y admire[1], l’un des beaux résultats de la science moderne, aussi grandiose et plus utile que les gigantesques folies architecturales des Pharaons. De 130 mètres de long et de 8m 50 de profondeur d’eau, ce bassin occupe le centre d’un îlot créé à 3 kilomètres 1/2 du rivage. On y parvient du côté de la ville, par une chaussée qui supporte une voie ferrée, du côté de la rade par un chenal de 1,500 mètres de long sur (30 de large, et creusé à 5m 50 au-dessous de la marée basse. Il peut donner accès aux plus grands bâtimens, et forme le complément du canal qui joindra les deux mers. Cet important travail a coûté 9 millions de francs. À terre, c’est un autre Français qui, depuis 1863, a fait venir par un canal l’eau douce que l’on apportait jadis à dos de chameau ou en chemin de fer ; il en coûtait 1,600,000 francs par an à cette population déshéritée. Il faut de tels travaux pour donner quelque intérêt à la misérable ville de Suez. On a beau vous montrer le Sinaï et l’endroit précis où la Mer-Rouge se retira devant les Hébreux ; ces souvenirs bibliques sont impuissans à masquer la malpropreté de cette bourgade, encadrée entre la mer et le désert. La vie s’y est réfugiée dans un vaste hôtel, incommode et coûteux caravansérail, qui ne s’anime qu’aux départs et aux arrivées périodiques des paquebots. Le soir, on y a la ressource d’un de ces cafés chantans dont il semble qu’aucun point du globe ne doive être à l’abri, et l’on y pouvait aussi

  1. Inauguré le 11 octobre 1866.