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Situé à égale distance de Suez et de Bombay, de manière à commander l’entrée de la Mer-Rouge, le port d’Aden acquérait par ce seul fait un prix inestimable aux yeux des Anglais, qui résolurent de s’en emparer, per fas et nefas, dès que le développement de la navigation à vapeur tendit à faire abandonner l’ancienne route de l’Inde par le cap de Bonne-Espérance. Aden appartenait alors au sultan de Lahidje, petit prince fort inoffensif, quoique un peu pirate à l’occasion, lequel eut la malencontreuse idée de pilier un navire anglais naufragé sur ses côtes. La fantaisie lui coûta cher; elle fournissait justement le prétexte que l’on cherchait, et après dix-huit mois de tergiversations infructueuses et de négociations sans résultat, une division anglaise expédiée de Bombay s’empara sans difficulté de la place en janvier 1839. Le pauvre sultan reçut pour indemnité une pension de 50,000 francs. On aura une idée de l’importance de la position par ce fait, que vingt-huit paquebots à vapeur touchent actuellement chaque mois à Aden, quatorze allant dans un sens et quatorze dans l’autre. Comment les nôtres remplaceraient-ils cette relâche dans le cas d’une guerre maritime? La question n’est pas plus résolue ici qu’elle ne l’est à Pointe-de-Galle.

Le voyageur qui ne fait qu’entrevoir Aden au vol a peine à comprendre l’existence des infortunés que leurs fonctions enchaînent sur ce rocher pendant des années, comme de modernes Prométhées sacrifiés aux vulgaires exigences du service. Ce paysage désolé lui aura en somme procuré une promenade à terre pendant les quelques heures nécessaires à l’embarquement du charbon; c’aura été une relâche pour tout dire, et il n’est pas de passager qui ne se rappelle le charme magique compris dans ce seul mot. Heureusement pour le gouvernement anglais ses serviteurs tiennent toujours en réserve une provision de philosophie qui ferait peut-être défaut à des Français en pareille circonstance. Beaucoup de leurs soldats sont mariés, et les familles trouvent dans les casernes une installation matérielle qui témoigne d’une sollicitude vigilante. Un des divertissemens favoris des fonctionnaires d’un rang plus élevé et des officiers consiste à évoquer les traditions du pique-nique national : on traverse alors la baie en canot, on dresse une tente sur le sable, on y déjeune longuement, après quoi les hommes vont fumer, pendant que les dames (car il y a des dames) les attendent en feuilletant pour la centième fois des albums de photographies. A certaines dates fériées, une liste recueille des souscriptions destinées à être distribuées en prix, et le hasard, qui nous amenait là pour l’anniversaire du couronnement de la reine Victoria, nous rendit témoin d’une de ces solennités. Il est superflu de dire qu’il y avait des courses de chevaux : où les Anglais n’en font-ils pas, et quels chevaux ne feraient-ils pas courir? Mais les autres prix étaient