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éveillé la convoitise de la Grande-Bretagne. Les Anglais en effet s’y étaient temporairement établis vers J702, et y furent massacrés par des soldats macassars dont ils avaient formé leur garnison. Plus tard, sous Louis XV, un négociant français de Surate qui avait longtemps pratiqué les mers de Chine, M. Protais-Leroux, pensa aussi que la possession de Pulo-Condor pourrait être utile à la France. Dans un long rapport écrit de son style le plus fleuri, il détaille avec amour les avantages de son idée à M. de Machault, alors contrôleur-général des finances, lui démontrant sans réplique que les Européens pourraient « passer gracieusement leur vie dans cette île agréable et fertile; » mais, si insidieuses que fussent les séductions de son éloquence, le pauvre homme n’obtint que la réponse dont l’éternelle formule sert de cliché à tous les ministres passés, présens et à venir. Elle est du 17 avril 1756; on pourrait, sans grand effort d’imagination, la croire datée de nos jours. « Votre projet, lui écrit-on, demande un sérieux examen, et, s’il y était donné suite, on profiterait assurément de vos connaissances. Vous pouvez d’ailleurs toujours me faire part de vos réflexions sur le commerce des Indes, persuadé comme je le suis qu’elles vous seront dictées par tout le zèle dont vous êtes capable pour le service du roi. » Hâtons-nous de dire, pour exonérer la mémoire du contrôleur-général de 1756, que sa fin de non-recevoir était cette fois des plus motivées, et que, malgré les beautés dont une imagination complaisante avait doté Pulo-Condor, nul point n’était moins propre à justifier les frais d’un établissement. L’obligation où nous sommes de nous y maintenir est un des inconvéniens de la Cochinchine, car nous n’y restons que pour empêcher d’autres puissances d’y prendre une position qui serait pour nous une menace permanente en cas de guerre. Difficile à défendre et d’une fertilité douteuse, cette île, que nous utilisons comme pénitencier, ne nous donnera jamais que quelques tonneaux de chaux, et ce que nous pouvons lui souhaiter de mieux dans l’intérêt bien entendu de notre colonie, c’est de rentrer dans le sein de l’océan, dont l’a maladroitement fait sortir jadis quelque convulsion volcanique.


Pulo-Pinang, détroit de Malacca, 20 mai.

On raconte qu’en 1786, alors que les couleurs britanniques ne flottaient encore sur aucun point du détroit de Malacca ni de la mer des Passages, le capitaine d’un vaisseau anglais de la compagnie des Indes-Orientales relâcha dans l’île de Pulo-Pinang. Pendant que son équipage était occupé à faire de l’eau et du bois, il s’en fut sur la côte opposée de la presqu’île malaise, séparée de Pulo-Pinang par un bras de mer de deux milles de large seulement, afin