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II.


Un soir, un soir d’hiver, je marchais par la ville,
A l’heure où, délivré de son travail servile,
Chacun cherche au hasard ou demande au désir
De quel nouveau travail il fera son plaisir;
Où le vice pavoise, où la cité s’allume.
Où cette autre Vénus, née aussi de l’écume.
Rôde, offrant à voix basse au passant qui la fuit
Ces marchés dont la honte a besoin de la nuit.

Il avait plu, la rue était pleine de boue.

Une femme parée et le fard à la joue,
Sur le trottoir fangeux, de l’un à l’autre égout.
Allait et revenait, soulevant le dégoût.
Comme un sillage au sein de la vivante houle ;
On se poussait du coude, on riait dans la foule.
Quelques-uns l’insultaient, d’autres hâtaient le pas,
Les plus démens passaient et ne la voyaient pas.

Et le fard et l’injure et la boue et la soie,
Cette misère vraie et cette fausse joie,
Et le luxe avili de cet être insulté,
Et tant de vice en proie à tant de lâcheté.
C’était triste.

Et, songeant à cette infortunée.
Je me disais : « C’est donc pour cela qu’elle est née!
Oh! penser qu’autrefois elle fut un enfant
Comme d’autres, de ceux qu’on chérit, qu’on défend.
Un de ces êtres purs où tant d’espoir se fonde.
De l’innocence rose et de la pudeur blonde.
Et que c’est devenu la chose que voici !
Est-il un crime au monde égal à celui-ci?
Qui donc a fait cela? Ce n’est pas toi, nature;
Tu ne te connais plus dans cette créature,
Ce rebut du mépris qui ne dit jamais non.
Et qui n’a plus de sexe et qui n’a plus de nom.
Et par l’opprobre seul tient encore à ce monde.
Dans ce chiffre inconnu d’une série immonde!
Qui donc a fait ce spectre en disant : Il en faut !
C’est toi, société pudique et sans défaut;