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épaisse de 1 à 7 mètres reposant immédiatement sur la glace : elle était surmontée d’une couche de tourbe portant une végétation luxuriante d’arbrisseaux, tels que des saules, des bruyères et des plantes herbacées appartenant aux genres Carex, Polygonum, Senecio, etc., entremêlées de mousses et de lichens. Cette tourbière recouvrant un glacier est une date géologique. Elle montre déjà que cette glace date de plusieurs siècles; mais il y a plus : dans les parties éboulées de la terre argileuse, Seemann et ses compagnons recueillirent de grands ossemens d’éléphant, de cheval, d’élan, de renne et de bœuf musqué[1]. Une des défenses de l’éléphant avait 4 mètres de long et pesait 79 kilogrammes. Il ne faut pas oublier que cet éléphant ou mammouth est un animal fossile, une espèce perdue qui ne se trouve plus vivante dans l’hémisphère boréal. Ainsi donc cette glace était contemporaine de l’éléphant et même antérieure à lui; ce glacier appartient non pas à l’époque actuelle, mais à celle où les glaces du nord et celles de nos montagnes s’étendaient sur une grande partie de l’Europe et de l’Amérique : c’est un glacier fossile. Les eaux, résultat de la fusion des neiges, ont déposé à la surface de ce glacier la couche d’argile, — qui n’est probablement autre chose que la boue impalpable qui résulte du broiement des roches par la glace, — et charrié en même temps des ossemens d’éléphans, de rennes et de bœufs musqués qui avaient péri dans le voisinage. Quelques mousses se sont établies sur cette argile toujours humide; avec le temps, elles se sont converties en tourbe, sur laquelle ont paru plus tard les végétaux amis du sol spongieux des tourbières. Protégée par cette couche déterre, la glace n’a jamais fondu, même superficiellement, et s’est conservée comme les rochers les plus réfractaires aux influences atmosphériques.

Traversons le détroit de Behring et passons en Asie. Nous trouvons des glaciers dans les montagnes du Kamtschatka, mais il n’en existe pas un seul tout le long de la côte sibérienne baignée par la Mer-Glaciale. Le fait, constaté par un savant voyageur russe, Middendorff[2], est assez difficile à expliquer. L’absence de montagnes, la disparition de la neige pendant l’été relativement chaud de ces contrées, la sécheresse de l’air, telles sont les causes que l’on peut invoquer ; mais l’ensemble seul de ces influences explique l’absence des glaciers, car dans l’Altaï, chaîne située sous le 50e degré, l’air est sec et des glaciers s’y maintiennent : on en retrouve aussi à la Nouvelle-Zemble, grande île située au nord de la Sibérie, sous le 75e degré de latitude.

  1. Seemann, Botany of the voyage of H. M. S. Herald, 1852.
  2. Sibirische Reisen, t. IV, p. 439.