Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/409

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il était trop tard... Le fait est qu’on n’avait jamais su ce qu’on voulait, et que le dénoûment n’était que la suite d’une série de contradictions et de fantaisies ruineuses.

Le premier résultat fut cette situation, apparue soudain comme dans un éclair, où tout avait changé brusquement, et que le comte de Broglie dépeint en traits saisissans dans un de ces mémoires qu’il remettait à Louis XV : — la Russie faisant un pas de plus sur le continent, la Prusse prenant le rang d’une des premières puissances, l’Autriche recueillant le prix d’une alliance dont elle s’était fait un moyen contre nous; « l’Italie menacée de l’oppression et de la tyrannie sous le prétexte spécieux des droits de l’empire romain, et l’Europe entière soumise à l’influence de trois potentats réunis pour la subjuguer ou la bouleverser; » la France elle-même enfin, la France vaincue sans avoir combattu, exclue des affaires du nord, isolée et momentanément réduite à « ne plus jouer sur la scène politique qu’un rôle passif et subalterne. » Le second résultat était que dans cette situation la France devait songer aussitôt à refaire sa puissance militaire, parce que, même quand elle le voudrait, elle ne pourrait « rester seule dans un coin, tranquille spectatrice des événemens qui bouleversaient l’Europe; » une ou deux crises encore ne la toucheraient pas directement; la troisième l’atteindrait au cœur. L’histoire se répète éternellement.

Voilà donc à quoi conduisait tout ce travail confus où Louis XV mettait pendant vingt années tant d’activité pour ne rien faire! Par une coïncidence étrange, la correspondance secrète reçut le dernier coup presque en même temps que la Pologne, pour laquelle elle avait été organisée. Elle avait été bien souvent sur le point d’être surprise; elle avait échappé pourtant à la coalition des curiosités intéressées, lorsqu’en 1773 Louis XV écrivait assez effaré : « Le secret est presque découvert; il faut qu’il y ait eu un traître ou un canard privé. » Le duc d’Aiguillon avait mis la main sur ce qu’il appelait une vaste conspiration, à laquelle auraient été affiliés Dumouriez, qui avait été envoyé en Suède après être allé en Pologne, Favier, le comte de Broglie lui-même. Favier et Dumouriez furent mis à la Bastille; mais on ne put rien leur arracher, et le roi fit mettre les prisonniers en liberté. Louis XV était à peine remis de cette alerte, qu’il se voyait pris d’une bien autre façon. Ce n’était plus en France cette fois, ce n’était plus à ses ministres ou à ses favorites qu’il avait affaire. Le prince de Rohan, alors ambassadeur à Vienne, avait trouvé le moyen d’arriver jusqu’au cabinet du premier ministre de Marie-Thérèse, M. de Kaunitz, de lire dans ses papiers les plus intimes, et là il avait fait une étrange découverte : il s’était aperçu que la cour de Vienne était parvenue à se procurer, à déchiffrer toute la correspondance du gouvernement français,