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çaise; vue de haut, cette alliance, sincèrement acceptée et énergiquement pratiquée, pouvait être une féconde combinaison d’avenir. Il y avait bien des raisons pour qu’elle ne se fît pas ou pour qu’elle se fît mal. On n’était pas accoutumé encore à traiter sérieusement un petit roi d’hier qui pourtant s’était annoncé comme un ami ou un ennemi sérieux. De plus c’était un prince protestant, et comment risquer de donner à l’Allemagne une tête protestante? Puis enfin c’était une nouveauté, c’était l’inconnu, et toutes ces raisons se cachaient sous le ressentiment qu’excitaient les sarcasmes de Frédéric, ajoutés à cette souplesse par laquelle il échappait à ceux qui croyaient le tenir. Le comte de Broglie a un mot piquant et juste au sujet du roi de Prusse : « On a dit, on le répète encore, qu’il nous a trompés; c’est trop souvent la phrase de ceux qui se sont trompés eux-mêmes, y-La vérité est qu’on s’était trompé au moment décisif; on n’avait pas saisi cette heure, cet éclair que Frédéric lui-même peint d’un trait si vif : « La monarchie qu’il (Frédéric Ier) avait laissée à ses descendans était, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, une espèce d’hermaphrodite qui tenait plus de l’électorat que du royaume. Il y avait de la gloire à décider cet être, et ce sentiment fut sûrement un de ceux qui fortifièrent le roi dans les grandes entreprises où tant de motifs l’engageaient. »

Lorsqu’à l’ouverture de la succession d’Autriche, en 1740, Frédéric II, voulant décider cet être, se jeta sur la Silésie, — la France, par un entraînement de sa vieille politique, fut bientôt avec lui; mais qu’arriva-t-il? Pendant que la France était l’alliée de la Prusse et que le maréchal de Bellisle combattait en Bohême, le cardinal de Fleury traitait secrètement avec l’Autriche. Frédéric l’apprend; par un hardi mouvement, il se tourne vers Marie-Thérèse, fait la paix avec elle en gardant la Silésie, et se dégage lestement en disant à Bellisle : « Monsieur le maréchal, songez à vous, ma partie est gagnée. » Il rentra dans la lutte, et cette fois encore comme l’allié de la France; mais déjà il avait saisi nos mobilités, nos fluctuations, le progrès des inclinations autrichiennes à Versailles; il avait flairé cette situation que d’Argenson décrit : « J’ai vu de mon temps que c’était une griève accusation d’être Autrichien. J’ai vu ensuite que c’était un éloge. Nous nous acquérons des amis avec effort, nous les perdons par légèreté. » Au lieu de retenir Frédéric dans une alliance utile aux deux pays, la France en était à préparer cette autre guerre qui s’est appelée la guerre de sept ans, où elle allait avoir la Prusse pour ennemie, et à l’occasion de laquelle Louis XV dit tranquillement dans une de ses lettres secrètes : « Si sa majesté prussienne tombe dans le précipice, tant pis pour elle. » L’indécision de la politique française avait rejeté Frédéric II