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tipliaient-ils les manœuvres de tout genre pour arriver à cette certitude qui leur manquait, — pour contraindre le roi à se dévoiler. Tantôt c’était une mesure, Une direction de politique par laquelle ils essayaient d’embarrasser le maître, tantôt c’était un de ses agens qu’ils surprenaient, dont ils demandaient au roi l’arrestation, — et alors le roi prévenait l’agent des ordres donnés, ou bien, s’il n’avait pu éviter l’arrestation, il s’adressait au lieutenant de police, M. de Sartine, qu’il finissait par initier au secret dans une circonstance pressante afin de soustraire des papiers à la curiosité des ministres. « Je me suis ouvert et confié au lieutenant de police, écrit Louis XV à Tercier; il me paraît que cela lui a plu, mais il faut attendre de sa sagesse et de cette marque de confiance qu’il fera bien. Si le contraire arrive, nous verrons ce qu’il y aura à faire. » M. de Sartine en effet enlève les papiers compromettans, les prisonniers mis à la Bastille nient tout, le ministre se sent joué sans pouvoir rien dire, et le roi ajoute en se frottant les mains : « Tout s’est bien passé au conseil, et l’on ne s’est douté de rien. » On s’était au contraire douté de tout, mais que faire? C’était à recommencer.

De là une lutte singulière de ruses, d’expédiens, de mensonges, où Louis XV s’embrouillait bien un peu, comme il le disait, mais où il finissait par retrouver le fil et reprendre imperturbablement son chemin, où en vrai roi absolu d’ailleurs il était toujours prêt à sacrifier, du moins en apparence et pour sauver le secret, ceux en qui il mettait la confiance la plus entière, qu’il chargeait des missions les plus délicates. C’était encore un moyen de tromper les ministres. Tercier en fit un jour l’expérience. Il n’était pas seulement premier commis des affaires étrangères, il était encore censeur royal, et ce fut lui qui eut à examiner le livre de l’Esprit d’Helvétius. Il ne prit pas garde au livre, qu’il approuva à la légère et qui fit scandale. Ce fut assez pour que le pauvre Tercier, qui était déjà un objet de soupçon pour ses rapports avec le roi, se vît exposé à toutes les sévérités ministérielles. L’abbé de Bernis se contenta d’abord de le menacer, le duc de Choiseul vint et exécuta la menace en lui enlevant son poste des affaires étrangères; le roi n’essaya nullement de le soutenir, il le laissa tomber en disant : « Je ne connais que mon secrétaire d’état... » Mais en même temps Tercier resta plus que jamais mêlé à la direction des affaires secrètes. Louis XV tint à le dédommager amplement en lui assurant des pensions montant à quinze mille livres, et même, comme Tercier était boiteux, le roi se préoccupait, dans ses arrangemens, de lui épargner de la fatigue.

Le comte de Broglie lui-même ne put échapper à ces contrastes ou à ces bizarreries de fortune qui semblent la loi ordinaire du