Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de 1763 qui finit la guerre de sept ans, — au démembrement de la Pologne, couronnement de cette série de déboires, origine première de cette ligue du nord que nous avons retrouvée depuis ce temps-là si souvent devant nous. Et si on cherche la raison de cette suite de disgrâces, elle est dans la politique chiffonnée ou bâclée à Versailles, et cette politique n’est que l’émanation naturelle de ce règne, type du régime absolu avec tous ses caractères, ses procédés, ses contradictions, ses frivolités et ses impuissances. Voilà l’intérêt supérieur, l’intérêt moral de ces correspondances secrètes: elles montrent ce que les dominations autocratiques font des affaires d’un pays, et comment elles finissent même par n’être plus maîtresses de leurs propres résolutions.

Une des plus vaines illusions, en effet, est de croire que l’autocratie tire de son principe une force particulière d’action, qu’elle est plus libre pour suivre un dessein parce que personne n’est libre autour d’elle. Si cela pouvait jamais être vrai, ce serait sans doute dans un temps où l’autorité et les traditions n’ont pas encore perdu tout leur prestige, où l’autocratie règne et gouverne au milieu d’un peuple plié par l’habitude à l’obéissance. Il n’en est rien. Voici un temps où « l’absolu pouvoir, comme en Turquie, » selon le mot d’un contemporain, n’est même pas contesté. Ce qui manque le plus, c’est la direction. Hommes et choses, intérêts extérieurs et affaires intérieures, tout va au hasard. Passions frivoles, médiocrités ambitieuses, âpres cupidités, influences équivoques se disputent la scène. Le roi semble le maître unique, et il vit dans une perpétuelle servitude. Pour faire prévaloir sa volonté, ce qu’il croit être sa volonté, il est obligé de se cacher, d’avoir un gouvernement secret, et il ne fait qu’augmenter la confusion. C’est là le spectacle qu’offre cette époque de Louis XV, dont la première et la plus fidèle image est le caractère même du prince. Moralement, ce n’est qu’un libertin de plus dans un temps de dissolution universelle, et je suis bien de l’avis de M. Boutaric, que c’est le côté le moins intéressant, quoique le plus recherché, jusqu’ici, du règne de Louis XV. Politiquement, c’est un des plus rares spécimens du genre; c’est le vrai roi de ce régime absolu : il en a les vices, les faiblesses, les dissimulations, les apathies, les mobilités.

Il était né peut-être avec des dons heureux, parfois il a de secrets mouvemens, il laisse échapper des mots qui ne sont point d’une nature dénuée de dignité ou insensible au bien. A mesure qu’il avance, il plie sous l’excès du pouvoir; il devient bientôt cet être royal défiant et timide dans son omnipotence, tout perdu dans les petits moyens, plein de velléités sans suite, amolli et endurci à la fois, ennuyé par-dessus tout, dont un des témoins les plus ori-