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j’éprouverais moi-même, s’il m’était possible d’en obtenir la perception directe. — Cette façon de raisonner, M. Magy l’applique très ingénieusement à toutes les causes que la physique nomme des forces, cala cohésion, à l’élasticité, à la chaleur, au magnétisme, à la lumière elle-même, et il en conclut que le monde des corps n’est qu’un ensemble de forces, ou plutôt un ensemble de systèmes de forces.

Par ce côté, les corps sont donc analogues aux esprits, et voilà l’intervalle qui séparait le matérialisme du spiritualisme un peu diminué. Toutefois cet intervalle demeure très grand encore, car si les corps sont des systèmes de forces actives, ce qui les rend un peu semblables aux âmes, ils sont étendus, divisibles, composés, et l’âme n’est rien de pareil. Se peut-il qu’il y ait un moyen, on ne dit pas de supprimer, mais seulement d’atténuer d’aussi profondes différences?

Il y en a un en effet, et MM. Magy et Janet croient l’avoir trouvé chacun de son côté. Le premier soutient que l’étendue n’est qu’une apparence pure; le second démontre que l’atome étendu se réduit à la force active, ou n’est rien. L’un et l’autre éliminent l’étendue comme élément des corps et ne laissent subsister que la force. Les raisons qu’en apporte M. Magy ne m’ont point convaincu; elles sont subtiles, obscures même, et l’examen qu’il en faudrait faire pour les réfuter m’entraînerait beaucoup trop loin. Au contraire l’argumentation de M. Janet[1] est simple, claire, décisive. C’est un de ces morceaux qu’on doit reproduire dans les termes mêmes où ils ont été écrits. «...Les atomes en se déplaçant occupent successivement dans l’espace vide des places qui leur sont adéquates, qui ont exactement la même étendue et la même figure que l’atome lui-même. Si, au moment où l’atome est immobile en un lieu, vous décrivez par la pensée des lignes suivant les contours de cet atome (comme lorsqu’on décalque un objet), n’est-il pas évident que, l’atome disparaissant, vous pouvez en conserver l’effigie et en quelque sorte la silhouette, la figure géométrique sur le fond de l’espace vide? Vous obtenez ainsi une portion d’espace que j’appellerai un atome vide, en opposition à l’atome plein qui l’occupait tout à l’heure. Cela posé, je demande aux atomistes de m’expliquer ce qui distingue un atome plein d’un atome vide, quels sont les caractères qui se rencontrent dans l’un et ne se rencontrent pas dans l’autre. Est-ce d’être étendu? Non, car l’atome vide est étendu comme l’atome plein. Est-ce d’être figuré? Non, car l’atome vide

  1. On la trouve dans l’introduction de l’édition récente des Œuvres philosophiques de Leibniz, par M. Janet.