à nos yeux considérable : « Les forces qui modifient, diversifient, éparpillent la vie, restent les ouvriers de je ne sais quelle esthétique profonde. » On n’a pas l’intention d’examiner en ce moment si la théorie de la transformation des espèces, empruntée à Darwin par M. Laugel, se concilie aisément avec la permanence des types. On ne veut pas davantage discuter la théorie de la sélection et de la concurrence vitale (struggle for life), dont M. Paul Janet a mis à nu les côtés faibles avec sa fermeté et son talent ordinaires dans plusieurs articles de la Revue très remarqués. On se contentera de soumettre à M. Laugel deux objections, la première au sujet de son idéalisme, la seconde provoquée par son esthétique.
Si le monde est une œuvre pensée, — et nul n’en est plus convaincu que nous, — si une raison universelle et souveraine ordonne toutes choses, dans quel esprit est cette pensée, dans quelle âme réside cette raison? Je fais de vains efforts pour comprendre ce que serait une pensée qui ne serait la pensée d’aucun être, d’aucun sujet, de personne. Une pensée, c’est un être pensant, ou ce n’est rien. Il en faut dire autant d’une raison qui serait purement et simplement la raison sans être la raison d’un certain être vivant. Donc, puisque l’univers est une œuvre pensée, il est absolument nécessaire qu’un esprit, qu’une âme vivante pense l’univers avec ses types et ses lois éternelles. Ceux qui prétendent qu’il n’y a point d’action sans agent, ni de mouvement sans moteur, ne sauraient éprouver la moindre difficulté à reconnaître qu’il n’y a pas de pensée sans esprit pensant. Or où résidera cette pensée dans une doctrine qui n’admet d’autre substance que l’éther et les atomes? On nous annonce au début qu’on a tout ramené à la force et à la forme. On écrit ailleurs que, s’il était permis d’emprunter le langage de la psychologie, on dirait volontiers que la force est l’âme de l’univers, et que les lois qui en règlent les transformations sont les idées de cette âme toute-puissante et éternelle; mais on n’emploie de telles expressions qu’en avertissant qu’on les considère comme inexactes ou peu permises à un savant. On préfère un autre langage, et par exemple celui-ci : « Nous ne sommes nous-mêmes que l’œuvre éphémère de la force divine répandue en toutes choses. » Or cette force divine, on la tient pour multiple et divisible, puisqu’on parle très résolument des dédoublemens et des fractionnemens de la force primitive, lesquels ne s’opèrent pas au hasard. Ainsi plus de doute : dans cette doctrine, la force universelle est en même temps le sujet, l’être où sont les idées et les lois de l’univers, et cette force est fractionnée et dédoublée autant de fois qu’il y a de parties dans l’éther et de molécules atomiques. On l’avoue avec une poétique hardiesse : « C’est le grand Pan dont quelque chose monte avec la