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lien apparent! Le monde, sans doute, ne lui est pas expliqué; mais au lieu de trouver un sphinx partout où il regarde, il reste en face d’un seul sphinx. Il voit les mêmes forces jouer subtilement dans les dards que lance l’étoile immobile, dans les chœurs harmonieux des planètes portées autour de leurs soleils, dans les frémissemens et les embrassemens des atomes, dans l’aimant, doigt obstiné qui cherche le pôle, dans les pures cristallisations où une géométrie qui s’ignore construit de délicates merveilles, dans la flamme qui réchauffe et dans la rosée qui baise les pieds glacés de la nuit. » Cet amant de la nature est aussi l’ami commun des sciences et de la philosophie. Il se réjouit de les voir se rapprocher et s’entendre. Il est convaincu que nul esprit « noble et sérieux ne voudra consentir à admettre qu’il y ait une hostilité nécessaire, un antagonisme fatal entre les enseignemens de la philosophie et ceux de la science positive. » Pour sa part, « il est allé sans cesse de l’une à l’autre; une curiosité peut-être trop inquiète l’a conduit des mathématiques aux sciences physiques, des sciences physiques aux sciences naturelles; mais dans leur familiarité il n’a jamais senti diminuer sa respectueuse admiration pour la philosophie. » Et cette admiration, plus courageuse chez un savant, peut-être parce que de sa part elle risque moins de paraître suspecte, n’hésite pas à proclamer la philosophie « la science des sciences. » Ces témoignages répétés de loyale sympathie toucheront d’autant plus vivement la métaphysique que depuis un temps on l’avait habituée à de tout autres procédés. Toutefois qu’elle ne se réjouisse qu’avec mesure.

Le plus beau ciel a son nuage, et celui que nous venons de montrer, malgré sa sérénité, n’est pas sans quelques menaces d’un certain côté de l’horizon. Aux paroles d’amitié et de paix qu’on a citées tout à l’heure se mêlent çà et là des expressions pleines d’ironie et même d’amertume. Le savant aimable qui souhaite si ardemment l’alliance de la pensée spéculative et de la recherche scientifique a cru apercevoir, dans je ne sais quelle ornière où elle serait embourbée, une psychologie propre à certaines a pauvres âmes qui ne savent comment échapper à l’obsession d’un moi chétif, vain et misérable. » D’après lui, cette psychologie enfermerait dans la conscience l’activité, le mouvement, la vie. Elle étudierait des facultés qui n’ont aucune occasion de s’exercer, une volonté que rien ne sollicite, une liberté qui n’a rien à choisir, une logique qui n’a pas de termes à relier. Et comme cette psychologie lui paraît très justement faite pour éloigner les philosophes de l’étude des sciences, il la condamne en lui infligeant les qualifications sévères de « spiritualisme avare » et de « roi sans royaume. » Si cette psychologie vide, creuse et fausse existe quelque part (ce qui est plus que dou-