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mais ils n’ont pu paraître tous à la fois, parce que les perceptions des objets qu’ils désignaient ont été nécessairement successives. Ici donc encore nous voyons agir cette loi universelle du monde que je signalais récemment à nos lecteurs sous le nom de loi des périodes, en vertu de laquelle tout phénomène est insaisissable dans ses commencemens et n’apparaît que quand il a déjà acquis une certaine intensité. Par conséquent il n’y a pas plus de raisons de vouloir saisir l’origine absolue du langage que d’en vouloir deviner la fin. Le zéro qui est au commencement et à la fin de chaque chose n’est point absolu, et ne représente en dernière analyse que le point idéal où se fait le passage d’un état à un autre et où l’équilibre se brise au détriment d’un ancien phénomène et au profit d’un nouveau.

Je viens de rendre compte à nos lecteurs d’une science nouvelle brillamment inaugurée en Angleterre, très populaire en Prusse et malheureusement encore peu cultivée en France. Le public studieux ou curieux doit certainement des louanges à M. Müller, qui dans une série de leçons savamment rédigées en a exposé les principes et les plus importans résultats. Son ouvrage est le fruit d’études longues et pénibles; il y montre une érudition aussi solide qu’étendue et rend populaire un nom que des travaux plus restreints et par cela même plus approfondis avaient déjà rendu si estimable aux yeux des savans. Les critiques que nous lui avons adressées ne portent que sur des points secondaires, et n’ôtent rien à la valeur du livre ni à la bonne opinion qu’on s’en est formée dès qu’il a paru. Aussi devons-nous également de justes éloges à MM. Perrot et Harris qui ont pris la peine de le traduire en français et d’ouvrir ainsi les voies de la science à ceux de nos compatriotes qui ne la peuvent aller chercher ni dans l’anglais ni dans l’allemand. Plût au ciel que l’exemple de ces deux habiles traducteurs fût suivi par d’autres! L’Allemagne nous a beaucoup devancés depuis vingt ans; elle est pleine de livres, de brochures et d’articles savans dont les Français n’ont qu’une très faible idée. Persuadons-nous bien que ce domaine de la science germanique est déjà si étendu qu’il ne nous est pas aisé d’en reconnaître toutes les parties : il importerait que ces travaux fussent traduits sans délai dans notre langue; sinon, le temps marche, et l’avance que l’Allemagne prend sur nous ira en croissant d’année en année. Toute traduction de ce genre est une bonne œuvre; en servant le public, elle fait honneur à ceux qui l’entreprennent et qui la terminent.


EMILE BURNOUF.