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dant plusieurs milliers d’années, s’est accompli dès le début en vertu des trois lois que nous venons d’exposer; et comme les lois du monde sont invariables, nous nous croyons autorisés à en suivre l’application même dans les temps où l’observation directe ne peut atteindre. La science admet donc que les langues aryennes et les langues sémitiques ont passé par les trois périodes déformation, que les langues touraniennes en général n’en ont eu que deux et ont été fixées durant la seconde, enfin que le chinois n’avait pas encore dépassé la première lors de sa fixation et qu’il s’y trouve encore. De plus, comme tous les mots de cette dernière langue sont des racines attributives exprimant une idée, l’écriture chinoise a dû avoir elle-même une valeur idéologique indépendamment du langage, et ressembler à l’écriture de l’arithmétique où les signes 1, 2, 3, etc., peuvent se lire en français, en allemand, en grec et dans quelque langue que ce puisse être.

Quand les langues aryennes se sont, par la voie du fractionnement, séparées de la langue centrale d’où elles sont issues, celle-ci était déjà parvenue à sa troisième période. Les anciennes traditions gréco-latines remontent au moins à vingt siècles avant Jésus-Christ; plusieurs hymnes du Véda et les plus anciennes parties du livre de Zoroastre ne sont guère postérieures à cette époque, et l’ont peut-être précédée. Ce n’est pas là une très haute antiquité; mais il faut bien admettre que ces chants n’ont pas été composés au moment même où la langue iranienne et la langue védique venaient de se former. On recule donc vers un passé plus lointain, et l’on n’atteint encore que le moment où ces langues se sont séparées de la langue centrale, qui était évidemment plus ancienne. Or c’est cette langue qui déjà en était à sa troisième période. Les deux autres périodes avaient sans doute demandé un temps assez long pour se produire ; il n’en reste rien, et il n’en a pu rien rester, car si des institutions morales ou des inventions matérielles avaient existé chez les Aryas durant ces périodes primitives et qu’elles eussent eu une force conservatrice pareille à celle qui a fixé le chinois, jamais les langues à flexions n’auraient pu se produire, ou du moins ce n’est pas quatre ou cinq mille ans qui eussent suffi pour les faire naître ; le chinois prouve qu’il eût fallu un temps beaucoup plus long. Les inductions les plus fortement appuyées nous conduisent donc à penser que durant ces deux périodes primitives de telles institutions n’ont pas existé chez les Aryas nos aïeux, et qu’elles ne sont nées que dans la troisième période de leur langue. Elles sont toutes exprimées par des noms dérivés, où l’élément formel joue souvent le rôle le plus important. Enfin un phénomène tout semblable s’est produit dans les langues sémitiques et dans l’idiome central qui leur a donné naissance.