pourtant vrai de dire qu’animés, eux aussi, de l’esprit du temps, ils ont aidé au progrès de la science en recueillant bien ou mal dans beaucoup de contrées lointaines des matériaux dont les savans de l’Europe ont su profiter.
La pensée de Leibniz ne tomba point sur un sol infécond. Pendant tout le XVIIIe siècle, on rassembla des faits et l’on tenta des solutions; mais alors régnait encore une idée juive exprimée au premier chapitre de la Genèse et malheureusement prise à la lettre par beaucoup de chrétiens. La Bible dit qu’Adam apprit de Dieu même les noms des objets, et d’après cela, comme ces noms sont hébraïques, l’hébreu était tenu pour la langue primordiale de la- quelle toutes les autres avaient dû sortir. Si l’on y avait regardé d’un peu plus près, on aurait vu dans le même livre ce Dieu se promenant dans le jardin de délices, sur l’heure de midi, quand souffle une brise légère, comme un prince ârya de Babylone dans son paradis; on l’aurait vu se repentant, se vengeant, se reposant, ignorant les orgies de Sodome et descendant pour reconnaître le bruit qui s’y faisait; on aurait alors compris que le livre mosaïque, ne pouvant pas être pris à la lettre, devait laisser les érudits dans une parfaite liberté d’esprit en matière de linguistique. Quoi qu’il en soit, on posa mal le problème, et les partisans de l’hébreu retardèrent de plusieurs années la marche de la science. Elle avançait cependant de deux manières, et le travail d’analyse qui s’opérait ne portait point à faux pour les langues qui se rattachent en réalité à l’hébreu. Dès le milieu du siècle dernier, la famille des langues sémitiques était reconnue; l’erreur commise venait non de la méthode employée, mais de la doctrine exclusive à l’établissement de laquelle on la faisait servir. D’autre part, les philosophes abordaient les grands problèmes. Condillac traitait de la nature et de l’origine du langage dans ses rapports avec les idées, l’école écossaise présentait aussi des solutions à sa manière, toute l’école de Voltaire en était préoccupée. Les temps étaient donc prêts pour qu’une révolution radicale s’opérât dans l’étude des langues, et les voies scientifiques s’ouvraient devant elle. La découverte du sanscrit fit cette révolution.
La première grammaire sanscrite publiée en Europe fut l’œuvre d’un carmélite allemand, Paulin de Saint-Barthélémy; elle fut imprimée à Rome en 1790. Six ans auparavant, les Anglais avaient fondé la Société asiatique de Calcutta. Dès lors on voit paraître tour à tour ou à la fois les travaux de William Jones, de Wilkins, de Carey, de Colebrooke. L’émotion produite par l’apparition d’une langue aussi ancienne que l’hébreu, autour de laquelle allaient se grouper celles dont l’hébreu ne pouvait rendre raison, fut si grande parmi les savans que plusieurs refusèrent d’en admettre l’authen-