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guère que sur les langues anciennes, le grec et le latin, et les vieilles grammaires y pouvaient suffire. Aujourd’hui, quand nous jetons un coup d’œil sur ce passé, nous voyons s’allonger devant nous une série non interrompue de grammaires toutes copiées les unes sur les autres, même les meilleures, série qui part du commencement de notre siècle et remonte d’année en année jusqu’à Denys le Thrace, embrassant une période de deux mille ans. C’est la période empirique dans laquelle les formes des mots sont classées dans un ordre commode pour l’enseignement, mais sans qu’aucune d’entre elles soit scientifiquement expliquée.

Pendant que les peuples gréco-latins construisaient et se transmettaient le système grammatical un peu artificiel qui s’enseigne encore dans les écoles, les Indiens construisaient le leur dans des conditions analogues et aboutissaient à des résultats semblables. L’étude de leur langue commença chez eux peu de temps après la période du Véda, dont on peut fixer le centre vers le XVIe siècle avant Jésus-Christ au plus tard. Nous avons reçu de ces époques reculées un certain nombre d’ouvrages d’une grande valeur, où sont contenues, sans beaucoup d’ordre il est vrai, de très profondes observations faites par les brahmanes et adoptées par les savans de nos jours. A partir de ce moment, les études grammaticales n’ont plus cessé un seul instant chez les Indiens, parce qu’elles ont eu pour objet non-seulement de conserver intacts les textes des hymnes qui sont les monumens sacrés du brahmanisme et d’en perpétuer l’intelligence, mais aussi d’épurer la langue commune, d’en éliminer les formes inutiles ou dénaturées par l’usage populaire, en un mot de constituer cette langue savante et correcte à laquelle on donna dès lors le nom de langue sanscrite, c’est-à-dire parfaite. Comme le sanscrit procède directement de l’idiome des Védas, qui est une sorte de sanscrit ancien, les études grammaticales faites en langue védique servirent de base aux grammairiens des temps postérieurs. La science des premiers alla s’étendant et se complétant par l’examen des formes de mots employées dans les poésies classiques. Il arriva un temps où l’examen fut complet, et ne laissa plus hors du cercle grammatical une seule forme irrégulière qui ne fut interprétée et ramenée à la régularité. Cet immense travail des brahmanes était fini plusieurs siècles avant Jésus-Christ, dans un temps où l’on songeait à peine chez les Grecs à s’occuper de grammaire. Il fut réuni à cette époque dans un livre d’une étonnante érudition. Ce livre, transmis de siècle en siècle depuis plus de deux mille ans avec d’abondans commentaires, nous le possédons, c’est la grammaire de Pânini. On peut dire qu’elle représente la science empirique dans son plus grand développement, qu’il n’y a chez aucune nation ancienne ou moderne aucune grammaire qui puisse