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onomatopées, est inépuisable, il sait trouver le burlesque en pleine terreur et se faire de cet élément une force de plus pour sa tragédie. Écoutez dans la scène de la forêt, un peu avant que la première balle tombe du moule, l’étrange et sinistre piaulement des oiseaux de nuit, et dans le dernier presto quelles harmonies! C’est à croire que vraiment toutes les cohortes de l’enfer sont déchaînées. Ténèbres ou lumière, quel que soit le monde qu’il nous ouvre, sa musique vous en donne à l’instant le pressentiment. Sunt geminœ portœ: deux portes en effet, porte d’airain et porte d’ivoire, dont le magicien Prospero tient la clé, vous inondent tour à tour des vapeurs du gouffre ou d’un flot d’azur, selon qu’il lui plaît de choisir l’une ou l’autre.

Maintenant, si de ce romantisme à double face le Freischütz et en grande partie Euryanthe marquent la note sombre, le côté nocturne, Oberon en contient tout l’aérien, le vaporeux. Qui ne se rappelle le premier chœur des elfes, enjoué comme une chanson d’Ariel, d’un si féerique badinage avec ses tenues de bassons, de flûtes et de cors, ses passades de cors anglais à travers les sautillemens des instrumens à cordes. Et ce chœur des ondines avec son accompagnement figuré, imagine-t-on une autre musique pour des voix de naïades? Elles nagent, couronnées de nymphées et de lotus, fendant l’eau dont la gaze enveloppe amoureusement sans les dérober leurs formes adorables, et le son voilé du cor se mêle au clapotement du flot. Un critique allemand distingué, M. Wilhelm Ambros, donnant tout à ces sonorités que Weber gouverne en maître, attribue presque à leur seul emploi l’illusion produite. Sans aucun doute, Weber a pour le surnaturel une langue à part qu’il s’est créée, et rien n’est plus facile que d’analyser les élémens dont se composent ses clairs de lune et ses incantations. Chacun sait comment il s’y prend pour, faire sa palette, les couleurs qu’il emploie. Il a des suites d’harmonies qui vous le nomment aussitôt, des procédés que le premier venu peut imiter et qu’on imite : accords de septième prolongés jusqu’à l’infini, tenues de sixtes, trémolos des instrumens à cordes; mais ce sont là de simples moyens d’expression qui, sans le génie de Weber, n’auraient qu’une valeur technique. Génie extra-poétique avec des raffinemens indéfinissables, Weber pousse la sensibilité jusqu’à l’innervation. La simple poésie ne lui suffit plus; il tend vers un idéal de poésie poétique, qui soit à l’autre ce que l’autre poésie est à la prose. De là souvent bien du précieux, du maniérisme. Quoi qu’il écrive, à la troisième mesure, on le reconnaît, ses défauts non moins que ses qualités se dénoncent à vous par un caractère tout individuel. Aussi beaucoup parmi les contemporains l’ont imité, les uns comme Hé-