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dernes. Ces reproches sont devenus un lieu commun; ne serait-il pas temps de chercher si les Grecs n’ont pas aussi quelque mérite, et s’ils ne présentent pas des élémens politiques qui nous répondent de leur avenir? La liberté est un droit imprescriptible qui ne se mesure pas aux vertus; la grandeur d’une nation dépend moins de son innocence que de son énergie et de son patriotisme.

Si l’on considère dans leur ensemble tous les Grecs, qu’ils soient libres ou asservis, des îles ou du continent, de l’Asie-Mineure ou de la Turquie d’Europe, de Marseille ou de Londres, de Trieste ou d’Odessa, on est frappé de leur ressemblance. Tout est chez eux identique; ils offrent le même type, le même esprit, le même orgueil; ils parlent la même langue, pratiquent la même religion; ils ont une communauté de sentimens surprenante; ils n’affichent qu’une seule ambition, ne poursuivent qu’un seul but: tous veulent être libres, tous entrevoient Constantinople reconquise. L’unité de race est une vérité chez eux bien plus que chez les Italiens, où l’antagonisme du midi contre le nord durera longtemps, bien plus que chez les Allemands, qui ne se rapprochent que pour mieux résister à la France. Le XIXe siècle prétend faire triompher partout le principe des nationalités; il n’en trouvera point de manifestation plus éclatante, puisque tous les Grecs ne font qu’un. Un état grec appelé à s’agrandir rencontrera donc une facilité d’assimilation et une force de cohésion merveilleuses.

Cette unité de race, que la gloire passée et les malheurs présens resserrent chaque jour, enflamme sans effort le patriotisme, d’au- tant plus ardent qu’il connaît ses droits, d’autant plus efficace que ses aspirations sont nettement définies. Les Grecs ont un sentiment très vif de leur intérêt personnel; mais ils ont une passion supérieure pour l’intérêt général. S’ils sont âpres pour s’enrichir, ils sont plus généreux encore dès qu’il s’agit de la chose publique. L’initiative privée a joué un grand rôle dans Athènes depuis trente ans : c’est par les souscriptions des particuliers que se sont fondés et élevés musées, bibliothèque, université, observatoire, églises, écoles, établissemens d’utilité ou de bienfaisance. Les plus pauvres contribuent, les plus éloignés envoient les offrandes les plus magnifiques; les Grecs de Trieste, de Vienne ou d’Odessa, qui ne seront jamais sujets du royaume grec, les raïas de Smyrne ou de Constantinople, qui savent qu’ils mourront dans la servitude, s’imposent pour ce petit état qu’ils chérissent comme la terre promise. Les Ioniens, quand ils ont voté unanimement leur annexion à la Grèce, n’ignoraient pas ce qu’ils allaient perdre en échangeant le protectorat bienfaisant des Anglais contre l’administration impuissante et onéreuse des Hellènes : ils ont fait d’avance leur sacrifice