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que leur traçaient à la fois l’opinion publique, la prévision du danger, la tyrannie des faits accomplis. Aujourd’hui il est évident qu’on en veut dévier. On reste insensible aux malheurs de la Crète; M. de Moustier, en revenant de Constantinople, s’est arrêté à Athènes pour interdire aux Grecs libres de secourir leurs frères; il a fait insérer dans le Moniteur[1] une note propre à décourager les Crétois et à compromettre leur cause aux yeux des gens de cœur. Je suis certain que M. de Moustier regrettera un jour une dureté qu’explique le premier éblouissement du pouvoir; il était généreux de se taire, il était prudent d’attendre les événemens. Nos ministres des affaires étrangères sont plus exposés que d’autres à se déjuger : je souhaite à M. de Moustier, et c’est un vœu que doivent former surtout ses amis, une prompte occasion de revenir à la politique qui est pour la France une tradition et un honneur.

Quel intérêt l’Europe a-t-elle à nous suivre dans cette politique? Le passé déjà répond à cette question : un coup d’œil sur l’avenir y répondra mieux encore.

Supposons que demain il soit notifié aux puissances occidentales que les Turcs se replient sur l’Asie, qu’ils abandonnent l’Europe, où ils sont campés et où deux millions de musulmans n’ont jamais pu s’assimiler huit millions de sujets chrétiens. Supposons que l’Occident, guéri par l’exemple de la Pologne d’un exécrable esprit de partage, laisse l’Orient livré à lui-même. Qu’arriverait-il? Il arriverait aussitôt que chaque pays, entraîné par les affinités de races, se grouperait autour d’un des trois centres que la diplomatie

  1. 5 décembre 1866. « Les espérances qu’avait fait naître la tournure favorable des événemens de Crète ne se sont pas entièrement réalisées. L’insurrection indigène terminée, une période d’apaisement et de pacification s’ouvrait déjà pour ce malheureux pays, quand des aventuriers de toutes nations, recrutés en partie dans le royaume de Grèce, en partie dans les anciennes bandes de Garibaldi, transportés à Syra d’abord et ensuite de cette île dans celle de Candie sur quelques petits vapeurs de commerce grecs à marche rapide qui se sont faits les pourvoyeurs de l’insurrection, sont venus y apporter de nouveaux élémens d’agitation.
    « Ces bandes étrangères se sont établies dans la partie montagneuse et inculte du pays, où elles se sont dispersées de manière à y soutenir pendant quelque temps une guerre de partisans rendue possible par les approvisionnemens qui leur arrivent de Syra en déjouant la surveillance de la croisière ottomane. Quant à la population de l’île, elle a, comme nous le disions il y a quelques jours, fait presque partout sa soumission et profité de l’amnistie habilement octroyée par Mustapha-Pacha; les paysans sont rentrés dans leurs foyers et s’occupent paisiblement des travaux de la récolte. Seuls, quelques Épirotes ou quelques chefs particulièrement compromis cherchent encore à tenir la campagne.
    « Quoi qu’il en soit, tout porte à croire que ce dernier effort de la rébellion, auquel la partie saine de la population candiote n’a aucune part, ne parviendra pas à ramener dans l’île de Crète une nouvelle ère de malheurs et de ruines. »