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l’ancêtre Kuno et de son fameux coup de carabine, auquel remonte l’usage de cette épreuve du tir imposée à travers les générations à tous ses successeurs. Par contre, dans la nouvelle, le diable Samiel et son suppôt Caspar ne forment qu’une seule et même personne, laquelle fait ses apparitions sous les traits d’un invalide à jambe de bois.

Wilhelm, revenant du tir, traverse la forêt; deux fois son adresse accoutumée s’est trouvée en défaut; triste, abattu, il se demande s’il n’est pas le jouet d’un mauvais rêve, et les ricanemens de ses camarades tintent encore à ses oreilles, quand tout à coup, au coin d’un carrefour, l’invalide se montre, lui parle de balles enchantées, ajuste un aigle dans l’espace, le tue, et s’éloigne clopin-clopant sans mettre Wilhelm plus avant dans le secret du maléfice. Ce secret, l’art de fondre les balles franches, — Wilhelm l’apprendra par hasard de la propre bouche du maître forestier, qui lui raconte un soir l’histoire lamentable d’un étudiant de Prague, nommé George, instantanément frappé de mort pour avoir négligé un simple détail dans l’accomplissement de l’œuvre occulte. Il y a de ces recettes infernales avec lesquelles on ne plaisante pas, et voici comme on s’y doit prendre pour tirer du jeu son épingle... ou sa peau. Tracer d’abord un cercle au carrefour de la forêt, s’y bien installer avec toute sa cuisine. Au coup de onze heures commence la fonte; à minuit sonnant, elle est terminée, et vous devez en ce laps de temps avoir, sans proférer une parole, fabriqué soixante-trois balles, pas une de moins ni de plus. Il est rare que parmi ces balles on en trouve plusieurs de mauvaises, une cependant appartient au diable et fatalement choisit son but.

Il s’en faut que le récit d’Apel soit un conte ordinaire. Hoffmann dans ses rêveries nocturnes n’a rien imaginé de plus sombre, de plus vigoureusement accentué. Cela respire la terreur d’un bout à l’autre. Quel dommage que le style manque et que la plume d’un Achim d’Arnim n’ait pas écrit cette anecdote! Traduit en français par un écrivain, ce morceau prendrait place à côté de ces œuvres de l’esprit russe dont, avec la concision mordante de sa phrase et son habileté d’escrime, M. Mérimée, de temps en temps, s’amuse à faire des œuvres d’art. La voie par laquelle Wilhelm s’achemine vers la perdition est très philosophiquement étudiée. Vous assistez aux mille angoisses de sa lutte avec le tentateur, au travail gradué de cette âme où le germe du mal, une fois déposé, plonge ses racines et finit par développer sa floraison. Je loue également le pittoresque du tableau représentant le pauvre garde-chasse en route par la nuit et la tempête vers le carrefour maudit. Ces spectres qui lui barrent le chemin, ces visions qui l’obsèdent, Kind les a