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stupeur. Les exemples de la Prusse ne nous apportent point des faits moins surprenans dans l’ordre financier que dans l’ordre militaire. Si un industriel français rencontrait de semblables discordances entre ses prix de revient et ceux d’un concurrent étranger, il n’aurait pas de repos qu’il ne les eût effacées ou considérablement atténuées. La vigilance et l’économie ne sont pas de moins pressans devoirs pour l’administration des ressources d’un grand état. La Prusse n’a pas seulement résolu le problème de pouvoir réunir en cas de guerre une grande masse d’hommes formés au métier des armes, elle a eu l’art de produire la plus grande armée au meilleur marché. L’enseignement que son organisation militaire nous donne est double ; on en néglige entièrement chez nous la portée financière. Ce n’est pas tout : dans le système prussien, la charge de l’obligation générale du service n’agit que pour les cas de guerre, c’est-à-dire en des circonstances exceptionnelles et fort rares. Dans cette organisation, on s’est ménagé le moyen de réunir la plus grande somme de forces possible en temps de guerre ; mais par contre on s’est étudié à rendre le service aussi peu onéreux que possible aux populations en temps de paix. La durée de service dans l’armée active est réduite à très peu d’années : les organisations des régimens, des divisions, des corps d’armée de landwehr, s’adaptent aux circonscriptions territoriales du pays, et épargnent tout déplacement aux soldats. Dans la réforme militaire, l’occasion se présentait pour la France d’aviser à ces deux grands intérêts des populations, réduction du service à la plus stricte limite de temps, attention à laisser les soldats sédentaires et à les éloigner le moins possible de leurs foyers. Une mesure de réorganisation comme celle que la France va entreprendre devrait être définitive ; pour être définitive, elle devrait être conçue sur les bases les plus larges, supprimer toutes les anomalies, prévoir et concilier dans un juste équilibre tous les intérêts. La question de la durée du service actif en temps de paix, c’est-à-dire de la charge la plus pénible imposée à la jeunesse française, devrait être résolue avec la plus grande libéralité. La politique eût dû fixer aux spécialistes militaires à qui elle confiait l’élaboration du projet, comme une donnée essentielle du problème, de combiner une armée active qui n’imposât point aux jeunes soldats une durée de service plus longue que trois ou quatre années.

Quelles que soient les difficultés qui se dressent à toutes les avenues de la situation politique, nous ne doutons point que la France ne réussisse à les surmonter. Il n’y a point, par exemple, de dogmatique et de casuistique constitutionnelle qui puisse tenir longtemps contre l’instinct de conservation dont un peuple est toujours animé, et contre les lois naturelles produisant les événemens nécessaires. Nous ne sommes donc point découragés par ce qu’il y a aujourd’hui d’incertain et de trouble dans les choses. Les dissonances qui éclatent à tout moment entre les esprits, les conflits d’opinion, produisent souvent parmi nous, depuis quelques années, des effets