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connait au préfet de police et aux préfets le droit de se faire délivrer par la direction des postes telles lettres qu’ils déterminent. Un simple commissaire de police peut aujourd’hui, en présentant une délégation ad hoc, se faire remettre contre un reçu les lettres adressées à tel individu désigné, et si plus tard elles sont rendues à l’administration, elles sont frappées d’un timbre particulier qui porte en exergue : ouvertes par autorité de justice, et renvoyées au destinataire. C’est brutal, j’en conviens, mais préférable néanmoins aux manœuvres du cabinet noir. La cour de cassation a prononcé en dernier ressort, il n’y a qu’à s’incliner. Cependant je lis dans le code pénal un article 187 ainsi conçu : « Toute suppression, toute ouverture de lettres confiées à la poste, commise ou facilitée par un fonctionnaire ou un agent du gouvernement ou de l’administration des postes, sera punie d’une amende de 16 francs à 500 francs et d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans. Le coupable sera de plus interdit de toute fonction ou emploi public pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. » Ce sont là de ces contradictions que les légistes excellent à résoudre, mais auxquelles nous n’entendons rien.

L’intérêt extrême que les gouvernemens ont à pénétrer leurs mutuels secrets les a souvent entraînés à des actes que la délicatesse et la morale réprouvent. Parfois on n’a pas hésité à commettre des crimes pour s’emparer des dépêches d’un agent diplomatique. Dans ce cas-là surtout, on faisait appel à la raison d’état, et tout se trouvait justifié pour les gens qui s’imaginent qu’en toutes choses le résultat seul est à considérer. Chacun se souvient encore de l’assassinat des plénipotentiaires français, dans la nuit du 9 floréal an VII (28 avril 1799), à cent pas des faubourgs de Rastadt, sur la route de Plittersdorff. Robeyrot et Monnier furent tués; Jean Debry, échappé par miracle, reçut treize blessures. Le but de cette agression, dont il faut lire le récit dans le procès-verbal même des ministres plénipotentiaires, était tout simplement de s’emparer des papiers que les envoyés français portaient avec eux dans leur voiture[1]. Un autre fait excessivement grave et beaucoup moins connu s’est passé dans la première moitié du gouvernement de la restauration. L’ambassadeur d’une très grande puissance près d’une cour italienne de premier ordre s’aperçut à des indices certains que ses secrets étaient divulgués. Ses dépêches les mieux chiffrées étaient devinées, ses correspondances particulières avec son gouvernement étaient percées à jour, et le ministère d’un pays voisin en avait connaissance. En vain l’ambassadeur avait établi autour de

  1. Moniteur du 22 prairial an VII.