mal que de bien. Il arrive si souvent au souverain d’être de mauvaise humeur, fatigué, influencé par des causes étrangères à l’objet soumis à sa décision, et puis les Français sont si légers, si inconséquens dans leurs correspondances comme dans leurs paroles! J’employais le plus souvent le cabinet noir à connaître la correspondance intime de mes ministres, de mes chambellans, de mes grands-officiers, de Berthier, de Duroc lui-même[1]. » M. de Las Cases est plus explicite, il entre même en quelques détails administratifs qui ne sont point sans intérêt. « Dès que quelqu’un se trouvait couché sur la liste de cette importante surveillance, ses armes, son cachet, étaient aussitôt gravés par le bureau, si bien que ses lettres, après avoir été lues, parvenaient intactes, sans aucun indice de soupçon... Ce bureau coûtait 600,000 francs... Quant à la surveillance exercée sur les lettres des citoyens, il (l’empereur) croyait qu’elle pouvait causer plus de mal que de bien[2]. » Un de ses ministres, un homme dont le dévouement n’est point suspect, et qui le servait avec ardeur dans toutes ses opérations secrètes, Savary, blâme énergiquement la violation des lettres, non pas au point de vue de la morale, qui paraît l’inquiéter assez peu, mais uniquement au point de vue de l’utilité qu’on en peut retirer. Il n’hésite pas à dire : « C’est ainsi que plus d’une fois on s’est servi, pour porter le mensonge jusqu’au chef de l’état, d’un moyen destiné à lui faire connaître la vérité. A l’aide de cette institution, un individu qui en dénonce un autre peut donner du poids à sa délation. Il lui suffit de jeter à la poste des lettres conçues de manière à confirmer l’opinion qu’on veut accréditer. Le plus honnête homme du monde peut ainsi se trouver compromis par une lettre qu’il n’a pas lue ou qu’il n’a pas comprise. » Et Savary ajoute ces paroles qui méritent de faire réfléchir lorsqu’on se rappelle les fonctions qu’il a exercées : « J’en ai fait l’expérience par moi-même[3]. » Bourrienne nomme les masques sans hésiter, et explique la cause de la disgrâce qui, pendant tout l’empire, pesa sur le général Kellermann. « M. Delaforest, directeur-général des postes, travaillait quelquefois avec le premier consul, et l’on sait ce que cela veut dire, quand un directeur-général des postes travaille avec le chef du gouvernement. Ce fut dans une de ces séances laborieuses que le premier consul vit une lettre de Kellermann à Lassalle, dans laquelle il lui disait : Crois-tu, mon ami, que Bonaparte ne m’a pas fait général de division, moi qui viens de lui mettre la
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