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tromperait. Il y a un cercle fatal où la médiocrité humaine semble forcée de tourner toujours: de quelque côté et pour quelque cause que l’on combatte, les armes sont perpétuellement les mêmes. Dès l’ouverture des états-généraux, on put deviner que, si jamais Robespierre arrivait au pouvoir, il ne mépriserait pas ce moyen d’investigation qu’on avait si justement reproché à la monarchie absolue. Répondant à Mirabeau, il dit dans la séance du 25 juillet 1789 : « Sans doute les lettres sont inviolables; mais lorsque toute une nation est en danger, lorsqu’on trame contre sa liberté, ce qui est un crime dans les autres temps devient une action louable. Les ménagemens pour les conspirations sont une trahison envers le peuple. » Grands mots, derrière lesquels les actes ne peuvent même pas cacher ce qu’ils ont d’odieux. Plus tard, Robespierre parut avoir changé d’avis : le 28 janvier 1791, il monte à la tribune, et à propos de correspondances renvoyées à l’examen de l’assemblée parce qu’elles attaquaient les représentans du peuple, il dit : « Comment sait-on que ce sont des écrits contre l’assemblée nationale? On a donc violé le secret des lettres? C’est un attentat contre la foi publique! » Ces paroles contiennent implicitement une promesse que devait démentir le comité de salut public. Du reste, en ceci comme en beaucoup d’autres choses, ce furent les girondins, lorsqu’ils étaient les plus forts, qui donnèrent le mauvais exemple. Ils ne se gênèrent point pour décacheter les lettres des feuillans, des fayettistes; la montagne devait le leur rendre quand son tour fut venu. Elle eut au moins le mérite de procéder ouvertement; ce ne fut plus une embûche, ce fut une mesure de sécurité publique, et deux membres de la convention furent délégués pour connaître des correspondances qui pouvaient compromettre le salut de la patrie. Après le 9 thermidor, on essaya de ramener les postes à un état normal; on voulut une fois de plus rompre avec la raison d’état et revenir à la probité. Dans sa séance du 19 frimaire an III (9 décembre 1794), la convention décrète u que le secret des lettres ne sera plus violé dans l’intérieur de la république, et renvoie au comité des transports les observations faites sur l’administration des postes. » Je doute que les thermidoriens, dont la moralité n’était point exemplaire, aient tenu grand compte de ce décret, car jamais peut-être la police ne fut plus pénétrante qu’à cette époque; par bonheur pour les intéressés, sa vénalité la rendait peu redoutable, et il était facile de s’accommoder avec elle.

Sous le consulat et l’empire, nulle hésitation n’est permise. Napoléon a fait à ce sujet des aveux qui ont été recueillis à Sainte-Hélène par les compagnons de sa captivité. En parlant du cabinet noir, il dit : « C’est une mauvaise institution, qui fait plus de