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religieuse ne se rattache à ces pratiques, que l’imagination d’un magicien a inventées et qu’une aveugle tradition a maintenues.

L’histoire n’existe pas pour ces peuples ; aucun souvenir ne les rattache à leurs ancêtres. Chaque génération naît et s’éteint isolément. Les coutumes qu’elles se transmettent sont sans origine, et personne ne cherche à s’en rendre compte. Le sentiment de la solidarité est encore à naître, et l’idée de l’humanité ne perce jamais dans leurs discours. Le phénomène de la diversité des langues se présente au milieu de ces tribus, bien qu’elles aient le même type et descendent certainement d’une même souche. On compte, du 5° au 12° de latitude, cinq langues à l’est du Nil, et il est probable qu’à l’ouest la même variété existe ; mais-ce qui est un véhicule d’enseignement et un admirable stimulant pour les nations civilisées devient une barrière insurmontable dans les pays sauvages. La diversité des langues isole les tribus, chacune se cramponne à ses coutumes et reste cristallisée dans ses habitudes séculaires.

M. Baker pense que ces peuples ne pourront être gagnés à la civilisation européenne que i)ar le commerce. Il engage les messagers de la foi chrétienne à attendre. Il ne place leurs travaux qu’en sous-œuvre et comme complément des autres élémens civilisateurs. Il voudrait que l’on fondât une grande compagnie pour l’exploitation de l’ivoire. « Un monopole puissant, dit-il, mettrait un terme aux désordres qu’engendre la concurrence. » Nous craignons qu’il ne s’abandonne ici à des vues trop exclusives. On a rarement vu que le commerce fût un véhicule suffisant de civilisation pour les peuples sauvages ; il est douteux que celui-ci puisse jamais se passer d’un auxiliaire religieux. Sans exagérer les conquêtes accomplies jusqu’à présent par ce dernier sur la barbarie, on peut dire qu’il a du moins l’avantage de s’appuyer sur un ordre de sentimens qui ennoblissent l’homme, de s’adresser non pas à l’intérêt, mais à l’intelligence et au cœur : de là ses efforts pour répandre l’instruction. Il ouvre des écoles, enseigne à lire, à écrire, s’attache à propager les premiers rudimens des connaissances humaines. Il crée un alphabet, fixe la langue, écrit et imprime des livres, et pose ainsi les bases d’une littérature. Il construit des édifices qui ouvrent à l’âme de sublimes perspectives. Toutes ces œuvres essentiellement civilisatrices ne sont pas du domaine du commerce. Peut-être même faut-il regretter que, pour s’ouvrir l’accès de pays inconnus et semés de périls pour l’étranger, les voyageurs soient forcés de s’adresser d’abord à des passions sauvages et brutales. Quelque honorable que soit leur caractère, il faut convenir que les premières traces laissées par eux sont loin d’être toujours un progrès. En se met-