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fermés les mièvreries de cette partition et s’extasiant à chaque mesure sur le caractère si profondément chevaleresque de cette grande musique allemande. Puissance de l’imagination! La Montessu pirouettait sur la scène au bruit d’un orchestre de ménétriers, et lui, pendant ce temps, sentait son âme déborder d’enthousiasme. « Que c’est splendide, disait-il, que c’est beau ! comme on saisit partout le souffle des croisades dans cette musique de Weber ! » Et Lubin chiffonnait Colette, et la mère Mathurin, armée de son balai, courait sus au galant de village. Évidemment il rêvait, le poète; couper court à ses illusions eût été désormais malhonnête, nous nous en serions fait scrupule. Et cette illusion qu’il emporta ce soir-là du théâtre, il la conserve peut-être encore aujourd’hui.


I.

Weber du moins a le mérite d’être bien de son temps; si les romantiques trop souvent l’ont ignoré, il a, lui, fièrement compris les romantiques. J’ai nommé les Tieck, les Schlegel, les Arnim, les Novalis, tous les chefs de cette levée insurrectionnelle contre l’esprit antiquailleur de l’Allemagne de Winckelmann. Les opéras de Weber sont, avec quelques contes d’Achim Arnim et le volume de Novalis, ce que cette période aura définitivement produit de meilleur. Ces productions littéraires de l’école romantique, et je parle ici pour la France comme pour l’Allemagne, ces œuvres dont, grâce à Dieu, personne aujourd’hui ne conteste la poésie ont cependant bien des côtés critiques que le temps met de plus en plus en relief. Aux beautés réelles, parfois sublimes, se mêle à chaque instant je ne sais quel élément malsain. En plein pathétique, l’incongru fait irruption, et vous n’échappez aux platitudes humoristiques, au bizarre voulu et sonnant creux, que pour aller donner de la tête contre un idéalisme maniéré qui d’une lieue sent la serre chaude. Si j’écrivais en Allemagne, les exemples ne me manqueraient pas : je citerais le théâtre fantaisiste de Tieck, les pièces à l’espagnole de Schlegel; je suis en France et m’y tiens. Essayez aujourd’hui de relire certaines poésies de l’époque, naguère encore inopportunément réimprimées; c’est d’un faux à vous confondre l’âme. C’est de la religiosité sans religion, de la sentimentalité sans une ombre de sentiment. On shakspearise, on caldéronise, on fait des assonances, des tercets, des fioritures, tout cela pour rien, pour le plaisir.

En Allemagne, le romantisme ne fut point ce jeu d’esprit. Si sa fleur enivra toutes les têtes, il poussa ses racines au plus profond des cœurs. Pour qu’une école où n’étaient ni la vérité ni le sens viril réussît de la sorte malgré ses défauts, malgré l’opposition et