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quence des récits de navigation qu’il a publiés ici il y a bien des années n’a point vieilli ; mais il était mieux encore qu’un puissant écrivain de nature : il avait le génie et l’âme d’un guerrier, et s’il eût pu être mêlé à une de ces luttes nationales dont la pensée faisait tressaillir ses nerfs héroïques, ceux qui l’ont connu ne doutent point qu’il n’eût immortalisé son nom par les actions les plus éclatantes. Nos lecteurs le croiront sans peine si nous leur disons que c’est l’amiral Page qui a écrit ce magnifique récit de la bataille de Lissa dont toute l’Europe s’est émue. La main héroïque qui a tracé cette grande scène de guerre est maintenant glacée à jamais. e. forcade.



ESSAIS ET NOTICES.

LE COQ AUX CHEVEUX D’OR,
récit des temps fabuleux, par Maurice Sand[1].

Voici un livre étrange, un fougueux caprice d’artiste enté sur l’érudition d’un chercheur patient. S’il y a anomalie, il n’y a pas bizarrerie. Le bizarre est ce qui n’a pas sa raison d’être. La logique de l’esprit, quelque dissimulée qu’elle soit sous la fiction, donné toujours une réelle solidité à un ouvrage d’art, et constitue l’originalité sans s’égarer dans le burlesque.

Il y a pourtant du comique dans ce livre, mais il y a surtout de la terreur et de la poésie, du savoir et de l’invention. Il fallait tout inventer en effet sur ces âges fabuleux, mais en même temps il ne fallait rien inventer qui ne fût dans la donnée, dans la forme et dans la couleur de la légende.

Grand et aride travail en apparence, travail abondant et facile pour celui qui, nourri d’études substantielles et doué d’une heureuse mémoire, puise dans son propre fonds et y trouve les matériaux tout prêts pour construire en se jouant l’édifice de la fantaisie.

La fantaisie ! n’y a-t-il pas un point par lequel elle touche à la connaissance positive, comme la fable confine à l’histoire ? Les mythologues ne sont-ils pas déjà des historiens ? S’ils racontent des faits erronés, s’ils affirment des choses impossibles, ne font-ils pas à leur insu le récit fidèle des

  1. Au moment où nous corrigeons cette épreuve, des amis bienveillans nous font observer que nous allons contre l’usage, peut-être contre la modestie, en signant George Sand l’analyse d’un livre signé Maurice Sand. Nous n’avons pas voulu nous rendre à cette opinion. Il ne nous parait pas juste que, seul entre tous, nous n’ayons pas le droit de dire notre pensée sur un ouvrage soumis à la critique de tous. Nous accusera-t-on de partialité ? On pourrait nous en accuser aussi à l’égard de tout autre livre dont nous aurions à rendre compte. Croira-t-on que l’auteur manque de modestie parce qu’il est content d’avoir notre avis sur son travail ? Il nous semble au contraire qu’il y aurait de l’orgueil de sa part à vouloir s’en passer, et que, de la nôtre, il y aurait une fausse timidité à craindre l’accusation de népotisme littéraire. (G. S.)