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entre la Russie et la Turquie par les bons offices des deux autres co-partageans, la Prusse et l’Autriche. Si le cabinet de Pétersbourg prend à cœur aujourd’hui les agitations des chrétiens de Turquie, quelle peut être son arrière-pensée ? Les Polonais de Galicie, si on leur posait la question, y feraient une réponse qui surprendrait plus d’un homme d’état de l’Europe occidentale. À en juger par les lettres les plus récentes de ce pays, les Polonais galiciens se figurent être à la veille d’une invasion russe ; ils la redoutent pour l’été de cette année ; ils se sentent pressés sur leurs frontières par des arméniens, — au sein de la population ruthénienne par des menées moscovites où ils croient voir la menace d’un choc prochain. Ils croient la Russie bien plus préoccupée de la pensée d’achever la conquête totale de la Pologne par un nouveau démembrement de l’Autriche que de l’amélioration du sort des populations chrétiennes de la Turquie, Ils ne sont peut-être point les seuls qui pensent ainsi parmi les grandes races politiques et guerrières qui adhèrent encore à la monarchie autrichienne. Il est certain que l’esprit politique et la sollicitude patriotique des Hongrois ont été vivement touchés par des appréhensions de même nature. L’approche formidable de la domination russe, que rien n’arrêterait plus si l’Autriche était détruite, a fortement ému et éclairé dans ces derniers temps les intelligens et sincères patriotes qu’entoure la confiance du peuple hongrois, et cette politique prévoyance a certainement hâté la réconciliation qui vient de s’opérer entre la cour de Vienne et la Hongrie. C’est bien plus parmi les races qui forment la fédération autrichienne et danubienne que dans les montagnes de l’Épire et de la Thessalie qu’une puissance comme la France, essentiellement impartiale, qui n’a aucun agrandissement à poursuivre pour son propre compte, dont l’unique intérêt est d’empêcher l’extension d’empires déjà excessifs, devrait placer en ce moment la défense énergique de l’équilibre oriental. Ne cherchons donc point sur le terrain de Constantinople des combinaisons diplomatiques qui ne seraient conformes ni à la nature des choses ni à nos intérêts, et deviendraient pour nous une source de nouvelles déceptions. Une révolution ministérielle vient de s’accomplir à Constantinople. Le sultan a mis à la tête du divan deux hommes, Aali-Pacha et Fuad-Pacha, qui ont l’esprit ouvert aux lumières européennes, et dont la capacité a été depuis longtemps éprouvée. Que les influences occidentales, que l’influence française surtout, soutiennent ces nouveaux ministres, et il sera possible de donner aux populations chrétiennes des satisfactions légitimes, et de prévenir encore une fois l’explosion d’une crise orientale.

À ce point de vue, on doit tenir grand compte de ce qui vient de se passer à Vienne. La réconciliation de la Hongrie et de ses chefs avec la monarchie autrichienne peut devenir le commencement de la reconstitution naturelle, libérale et solide de la force que la civilisation européenne est si intéressée à maintenir dans les régions danubiennes contre les développemens d’une Allemagne prussienne et du gréco-slavisme russe. Des