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souvent ils rasaient le pied rocheux des falaises ou entraient sous des sections de voûte creusées par l’action érosive des eaux. Cette navigation de treize jours, sur des canots d’une solidité douteuse, avec un équipage novice, sur une mer dont on ignorait le tempérament, ne laissa pas d’être assez pénible et semée d’accidens. — À la fin de la première journée, au moment où Baker établissait son bivouac sur le rivage, les rameurs indigènes, sous prétexte d’aller chercher des vivres dans le premier village, décampent et ne reviennent plus. Il confie leurs rames aux gens de son escorte, qui manœuvrent de telle sorte que les canots semblent tourner sur eux-mêmes comme sur un pivot. Il faut qu’il supplée à leur inexpérience en fixant une rame à la poupe de ses canots en guise de gouvernail et en les munissant, au moyen de ses plaids écossais, d’une voilure telle quelle. À l’aide de cet appareil nautique improvisé, et poussé par un vent favorable, Baker poursuivit sa route assez heureusement. Il doubla un promontoire qui masquait une baie profonde, et, pour gagner du temps, il pointa vers le promontoire opposé et s’éloigna du rivage de plus de six kilomètres. Il avait franchi la moitié de la distance, quand il fut enveloppé par un orage équatorial capable d’intimider les plus intrépides. L’obscurité était profonde, ou plutôt à la lumière du soleil avait succédé celle des éclairs, qui se suivaient sans interruption et embrasaient l’atmosphère. Les éclats de la foudre, répercutés de falaise en falaise, produisaient un roulement continu et effrayant. Une pluie diluvienne fit cesser graduellement le bruit du tonnerre, mais ramena l’obscurité ; nos marins craignaient d’avancer de peur de se jeter contre quelque récif. Ils parvinrent à triompher de ce péril, mais ce fut pour aborder un rivage où ils ne purent se procurer aucune nourriture. — Baker tue un crocodile dont quelques-uns de ses gens veulent bien manger, nourriture nauséabonde qui a l’odeur et le goût d’un mélange de poisson et de viande en décomposition assaisonné de musc. Il se hâte d’abandonner ces rives inhospitalières, et débarque le soir au village d’Eppigoya, où il reçoit le meilleur accueil ; mais les habitans ne peuvent lui fournir aucune viande de boucherie. Il est vrai qu’ils lui donnent deux cent cinquante pièces de volaille en échange d’objets de la valeur de 1 shilling. Le lac dans ces parages offrait les scènes les plus animées. Les hippopotames s’y promenaient en troupes nombreuses, et y prenaient leurs ébats. Les crocodiles y foisonnaient ; on en voyait par centaines sur le sable, immobiles comme de vieux troncs d’arbres. Des troupeaux d’éléphans descendaient des hauteurs pour prendre leur bain de tous les jours. Les uns se plongeaient dans l’eau, et y restaient un moment ensevelis en tenant leur trompe au-dessus de la surface ;