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— Donnez-moi votre rapport, dit-il, je vais le porter à Trévise, et demain vous recevrez l’ordre de faire fusiller cet homme.

Le jeune aide-de-camp mit le papier dans sa poche, effleura de l’éperon le flanc de son beau cheval, qui se cabra gracieusement et partit au galop. Dans le fond de la salle convertie en corps de garde était une chambre sans fenêtre, éclairée par un vitrage placé au-dessus de la porte. Le vieux reître y installa Centoni en lui disant qu’il aurait là un joli petit prison. Le mobilier se composait d’une seule chaise de paille et d’un tréteau de bois surmonté d’une paillasse en feuilles de maïs. On servit au prisonnier une ration de soldat que la faim lui fit trouver passable. Le soir, il s’étendit sur la paillasse, et, remettant les tristes réflexions au lendemain, il s’endormit profondément au milieu d’un vacarme de cris, de rires grossiers et de juremens. Le soleil était levé quand don Alvise ouvrit un œil qu’il s’empressa de refermer en se disant que la journée serait chaude pour lui, et qu’elle viendrait toujours assez tôt. Parmi les bruits confus du corps de garde, il crut entendre une voix prononcer son nom, ce qui semblait indiquer que le fâcheux quart d’heure approchait ; mais il continua de goûter le demi-sommeil du matin, pensant qu’il était en pays chrétien, et qu’on lui laisserait le temps de recommander son âme à Dieu. Cependant la porte s’ouvrit ; un homme entra dans la chambre et vint secouer le bras du prisonnier. Centoni s’éveilla enfin et reconnut son ami Pilowitz.

— Le drôle de corps ! s’écria le capitaine, il dort comme un lendemain de noce.

— Que pourrais-je faire de mieux ? dit Centoni.

— Par ma foi ! reprit le capitaine, innocent ou coupable, je ne dormirais pas de si bon cœur que vous. Allons, levez-vous, grand enfant.

— Cher Pilowitz, dit Centoni en sautant à bas de sa paillasse, je suis heureux de voir un visage ami. Est-ce que vous êtes chargé de m’envoyer où l’on ne va qu’une fois ?

— Non, répondit Pilowitz, bien au contraire. Embrassons-nous, cher Alvise. — Et maintenant courons au plus pressé : vous êtes libre. J’apporte de Trévise l’ordre de votre élargissement. Il n’y a point de formalité à remplir. Prenez votre chapeau, et sortons de ce bouge infect.

Don Alvise crut devoir faire ses adieux au vieux reître, et les deux amis s’en allèrent déjeuner ensemble dans le meilleur café de la ville.

— Mon pauvre Centoni, dit Pilowitz, vous revenez de loin. Croiriez-vous qu’on vous avait dépeint comme un farouche conspirateur, soufflant l’esprit de révolte parmi les gens de la campagne et