Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/968

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion, Centon, pour parler comme les bonnes gens. Le monde est plein de diseurs de riens ; celui-ci ne se contente pas d’en dire : il se lève matin, se couche tard et se donne une peine infinie pour ne faire que des riens. Regardez-le ; observez son air d’inquiétude, son agitation fébrile. Je vous défie de trouver en lui autre chose qu’un grand enfant bien élevé, du reste plein de connaissances utiles : bijoutier, horloger, menuisier, que sais-je ? On peut l’employer à tout, pourvu que ce soit à des bagatelles. Pour désigner cette catégorie de maniaques, on se sert, en dialecte milanais, d’un mot très expressif, qui ne se répète pas à des femmes. A Florence, on dit un facendiere, mais ce mot manque de force ; parmi les gens comme il faut que j’ai consultés, quelques-uns disent un don Fa-tutto, et c’est cette dernière locution que j’ai adoptée, parce qu’elle me satisfait davantage. Elle semble d’ailleurs inventée exprès pour le signor Centoni. J’appris à le connaître l’an passé en faisant avec lui un petit voyage dans le Frioul, où il se fit en quatre jours une douzaine d’amis intimes : d’abord le conducteur du vélocifère, puis une vieille aubergiste à laquelle il enseigna la tenue des livres, ensuite un tailleur de village auquel il commanda un pantalon, et enfin quelques paysans et cultivateurs dont il voulut tailler la vigne, si bien que le temps de notre partie de plaisir se trouva presque entièrement absorbé par les bons offices, conseils, leçons et secours que ce diable d’homme ne cessa de distribuer tout le long du chemin. Quand vous le souhaiterez, je vous donnerai d’autres détails qui ne vous laisseront aucun doute sur l’état mental du personnage.

— J’en étais sûre ! s’écria miss Martha. J’avais flairé le fou à la première rencontre.

— Il faudra voir, dit mistress Hobbes.

Pendant cette conversation, la salle de l’Athénée s’était remplie de monde ; on ouvrit la séance. Il s’agissait de l’influence des Médicis sur la littérature florentine depuis Pulci jusqu’à Machiavel. Le lecteur débuta par une cascatelle de phrases sonores qui n’éveilla dans l’auditoire ni passion ni intérêt. A la fin seulement, lorsqu’il en vint au livre du Prince et au vœu que Machiavel y exprime de voir l’Italie délivrée des armées étrangères, un homme d’une figure pensive et sévère se leva tout à coup et donna le signal des applaudissemens. Une triple salve, suivie d’un evvira longtemps soutenu, partit d’un groupe de jeunes gens. Le reste de l’assemblée fut pris d’une émotion qui ressemblait plus à de la frayeur qu’à de l’enthousiasme, et les derniers mots du discours se perdirent au milieu de bruits confus. L’auteur de cette manifestation, concertée d’avance, s’appelait Daniel Manin. Miss Martha demanda au capitaine Pilowitz si son ami le don Fa-tutto ne serait pas un farouche conspirateur. Le Hongrois trouva cette idée bouffonne. Il appela le si-