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DON FA-TUTTO


Tout voyageur qui a visité les provinces de la Haute-Italie du temps de la domination étrangère doit se souvenir d’y avoir vu un nombre énorme de jeunes gens qui ne suivaient aucune carrière. Si un Italien se vouait de bonne foi au service du gouvernement autrichien, il s’exposait à la haine de ses compatriotes, gens intolérans sur cet article. Si au contraire il embrassait une profession indépendante, — les talens, la science, l’étude, tout ce qui l’élevait au-dessus du vulgaire pouvait le rendre suspect aux autorités. Les avocats étaient mal vus, et l’éloquence surveillée comme une qualité dangereuse. Il ne restait donc que deux partis à prendre : se faire conspirateur ou se condamner au far-niente perpétuel. Or tout le monde n’a pas l’âme assez fortement trempée pour braver la prison et le Spielberg ; tout le monde ne peut pas non plus se résigner à vivre dans l’oisiveté. Cette situation anormale, dans un pays où il y avait beaucoup de forces vives et d’intelligence, a engendré les Manin, les Cattaneo, qui ont trouvé les conditions favorables au développement de leurs facultés dans les malheurs mêmes de leur patrie ; mais au-dessous de ces organisations énergiques d’autres êtres plus faibles et plus patiens, forcés d’agir par leur tempérament et cependant comprimés dans le milieu où le sort les avait jetés, se consumaient en efforts stériles pour donner le change à leur esprit, se remuaient dans le vide, et descendaient par degrés jusqu’à une sorte d’enfance. De là une variété considérable d’originaux dont les étrangers ont observé les manies sans en rechercher la cause. Lorsque je revis pour la première fois l’Italie après les grands événemens qui ont rendu ce pays à la vie politique, je remarquai de singuliers changemens dans le caractère et les mœurs de personnes que je croyais connaître. Les bouleversemens de la chose publique avaient réagi sur les individus, secoué les esprits et provoqué des crises favorables.