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sions contre lesquelles nous avons voulu nous prémunir par une déclaration préalable. Nous n’employons point un mot nouveau ; mais nous en avons dit assez pour montrer que, sous ces désignations usitées, on ne doit voir absolument que des masses en mouvement. Dire que l’énergie se déplace, c’est dire simplement que les masses agissent les unes sur les autres en modifiant réciproquement leur vitesse. L’énergie passe ainsi indéfiniment d’un système à l’autre, donnant lieu par là à la variété des phénomènes naturels. Tantôt elle se manifeste par une série de phases où l’on peut suivre ses effets successifs : on dit alors qu’elle conserve la forme active ; tantôt elle se dissimule pour maintenir pendant un temps plus ou moins long un équilibre dont la rupture la régénérera : on dit alors qu’elle passe à l’état virtuel. L’énergie active et l’énergie virtuelle varient sans cesse dans leur proportion relative, mais leur somme demeure constante. Tel est le principe que l’on désigne d’ordinaire sous le nom de conservation de l’énergie. Sans doute, pour vérifier dans son ensemble cette constance de l’énergie, il faudrait pouvoir embrasser l’univers entier. L’énergie peut croître à certaines époques, en certaines régions de l’espace, et décroître en des régions différentes, bien que l’éther apparaisse comme une sorte de régulateur de cette action universelle. Les échanges qui ont lieu sans cesse entre notre globe terrestre et le milieu sidéral se traduisent-ils pour nous par une perte, par un gain, par une oscillation périodique autour d’un état moyen ? Comment se comporte lui-même notre système solaire par rapport aux autres mondes ? Voilà les immenses problèmes où la notion de l’énergie universelle trouve son application. Ce n’est pas à dire que le principe de la conservation de l’énergie ne puisse se vérifier dans la connexion immédiate des phénomènes usuels. Il établit un lien précis entre tous les faits qui nous entourent. Le physicien sait que les mouvemens peuvent passer des masses visibles aux masses invisibles sans cesser d’obéir à une loi dont il connaît la teneur. S’il n’est pas assez heureux pour enfermer toujours les faits dans des cycles complets où les effets et les causes s’enchaînent jusqu’à se rejoindre, du moins il n’est plus réduit à regarder les phénomènes comme des apparences isolées. Pour chacun d’eux, il sait comment remonter aux origines ou descendre aux conséquences. Il peut faillir dans l’application de sa méthode, il peut se représenter sous un faux jour telle ou telle famille de faits ; mais le principe même en vertu duquel il cherche l’unité fondamentale sous la diversité infinie des apparences est pour lui la conquête la plus précieuse et la mieux assurée de la science contemporaine.


Edgar Saveney.