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que nous ne saurions consacrer trop d’efforts à la mettre en lumière : elle est comme le nœud du système que nous avons développé. Et cependant parmi les physiciens mêmes qui sont entrés dans le courant des idées nouvelles, il existe une école qui persiste à donner aux forces physiques je ne sais quelle existence spéciale. M. Hirn, dont le nom s’attache en France à la détermination de l’équivalent mécanique de la chaleur, M. Hirn, que nous citons quand nous voulons mettre un nom français à côté de ceux de MM. Joule et Mayer, M. Hirn n’hésite pas à regarder les forces physiques comme des élémens constitutifs de l’univers. à en fait sous le nom de principes intermédiaires des essences à demi transcendantes qui occupent tout l’espace, et qui ont la propriété de donner le mouvement à la matière. Il fait même le dénombrement de ces principes, et il en trouve quatre, la force gravifique, la force luminique, la force calorique et la force électrique. Eh quoi ! la matière va donc çà et là sortir du repos, et de nouveaux mouvemens vont naître au gré de ces forces ? Ce n’est pas précisément ce qu’entend M. Hirn ; il sait trop bien qu’il serait en contradiction avec les faits. Voici la théorie qu’il imagine. Pour lui, chaque force est répandue partout : au moment même où l’intensité de l’une d’elles augmente de manière à produire un mouvement, l’intensité d’une autre force diminue dans une proportion correspondante. Or cette diminution d’intensité dans la seconde force correspond elle-même à une diminution de mouvement dans la matière. C’est, comme on voit, une sorte d’harmonie préétablie. Sans doute il n’y a qu’à supprimer ces intermédiaires artificiels pour se trouver en face des mouvemens eux-mêmes, et l’on revient ainsi facilement, quand on le veut, du point de vue où se place M. Hirn à celui où nous étions placés tout à l’heure. Pourquoi dès lors, entre deux mouvemens qui s’engendrent l’un l’autre, introduire deux essences demi-transcendantes ? Pourquoi recourir à ces principes intermédiaires ? Pourquoi cette mythologie, cet olympe de forces ?

Pourquoi ? Il n’est pas bien difficile de le dire, et ce ne sera pas non plus inutile. Ces conceptions arbitraires sont inspirées à M. Hirn par les inquiétudes d’un spiritualisme ombrageux. M. Hirn entre en défiance quand il voit une doctrine qui chaque jour explique par les mouvemens de la matière un nombre de plus en plus considérable de faits ; il en redoute les envahissemens ; il craint qu’elle n’aille atteindre l’âme humaine, qu’elle ne réduise à de purs mouvemens les phénomènes de la volonté et de la pensée. C’est pour l’arrêter dans sa marche qu’il a recours aux forces gravifique, calorique, luminique, électrique. Ces principes intermédiaires sont des remparts qu’il élève pour défendre le principe animique. Sin-